Après Thomas Schütte, c’est au tour de Kiki Smith d’investir l’Hôtel de la Monnaie de Paris. Le musée du 11 Conti accueille en ses murs l’artiste américaine de renommée internationale et lui offre sa première exposition personnelle dans une institution française.
Ni thématique ni chronologique, le parcours inédit se déploie sur plusieurs étages et réunit une centaine d’oeuvres des années 80 à nos jours.
Artiste engagée, Kiki Smith (1954-) s’intéresse très vite au rôle social, culturel et politique des femmes dans la société et, en développant une pratique artistique à la fois éclectique et singulière, elle s’impose aujourd'hui comme l’une des plasticiennes féministes les plus importantes de sa génération. Artiste pluridisciplinaire s’il en est (peintures, dessins, gravures, textiles, installations et photographies...), ce sont ses sculptures allégoriques qui la rendent célèbre. Dans son travail, elle utilise une multitude de matériaux et de techniques (bronze, verre, papier, plâtre, cire…). Ses oeuvres figuratives au caractère hautement symbolique illustrent la symbiose entre le corps humain, le monde naturel et végétal et le cosmos. Son univers spirituel est peuplé de figures féminines, d’astres et de plantes; son bestiaire se compose de loups et de lions, de serpents et d’oiseaux.
Kiki Smith valorise les savoir-faire traditionnels et les arts décoratifs, populaires ou oubliés. Les planches anatomiques, l’art celtique et médiéval (La Tapisserie de l’Apocalypse à Angers et le retable d’Issenheim à Colmar notamment) l’inspirent. Comme elle le disait lors d’une émission sur les Femmes Artistes (Arte, 2017), Magdalena Abakanowicz, Ursula von Rydingsvard et Marisol Escobar pour ne citer qu’elles figureraient dans son “musée imaginaire”.
Une sculpture d’une Alice (au pays des merveilles) nous accueille dans la cour et donne le ton à la rétrospective. Kiki Smith revisite les contes et les légendes qui ont bercé son enfance (contes de Lewis Carrol, des frères Grimm et de Charles Perrault) et propose son interprétation de récits bibliques, de mythes ou d’archétypes issus de notre imaginaire collectif.
L’exposition s’ouvre, dans un des premiers salons, sur une scène bucolique: des jeunes filles assoupies sur le sol en damier, accompagnées de leurs moutons-anges gardiens.
Les oeuvres présentées dans les vitrines avoisinantes mettent en exergue l’intérêt de l’artiste pour la bestialité, “l’intérieur, l’intime, la réalité crue qui rebute et fascine à la fois.” On y trouve des statuettes de créatures chimériques, mi-femmes mi-bêtes, et d’autres sculptures à l’effigie de différents organes.
Le corps, la maladie, la blessure, la vulnérabilité, la mort sont des thématiques qui lui sont chères. Dans les salles suivantes, le corps humain viscéral, fragmenté, morcelé voire écorché qu’elle offre à notre regard est très loin de la représentation érotique classique. Kiki Smith examine ce dénominateur commun qu’est notre corps et s’intéresse aux fluides qu’il sécrète, à la peau et au système reproductif et donne à voir la vulnérabilité de la chair. “Toute l’histoire du monde réside dans votre corps” explique Kiki Smith, “je pense que j’ai choisi le corps comme sujet [dans mon travail], non pas consciemment, mais parce que c’est la seule chose que nous partageons tous; nous en avons notre expérience propre et authentique.”
La sorcière est aussi une figure récurrente dans son œuvre et son monument commémorant les chasses aux sorcières meuble l’un des salons (Pyre Woman Kneeling, 2002). Pour citer la journaliste et essayiste Mona Chollet, la sorcière "incarne la femme affranchie de toutes les dominations, de toutes les limitations; elle est un idéal vers lequel tendre, elle montre la voie”. “La sorcière est un condensé de tout ce qui dérange chez les femmes.”
La visite permet de découvrir des oeuvres emblématiques telles Untitled, 1995, et Rapture, 2001, où l’artiste réinterprète tour à tour l’iconographie de la crucifixion et l’histoire du Petit Chaperon rouge et de sainte Geneviève, la sainte patronne de Paris à qui la légende attribue la domestication du loup. Entre 2012-2017, elle réalise une série de douze tapisseries, et cinq d'entre elles garnissent les murs d'un des luxueux salons.
C’est un univers insolite, à la fois fascinant et dérangeant, que nous dévoile Kiki Smith, un univers qui, pour citer la réalisatrice Claudia Müller “explore la vulnérabilité des corps, subvertit la représentation traditionnellement érotisée du féminin et investit le monde de l'enfance d'une inquiétante étrangeté”.
Kiki Smith est également mise à l’honneur par le Centre de la Gravure et de l’Image Imprimée à La Louvière qui lui offre sa première exposition personnelle en Belgique. Intitulée Entre Chien et Loup / In the Twilight, l’exposition présente plus de 100 estampes, sculptures, dessins.
Kiki Smith, 11 Conti-Monnaie de Paris, 11 Quai de Conti, 75006 Paris, France. Jusqu’au 9 février 2020.
Kiki Smith, Entre chien et loup / In the Twilight, Centre de la Gravure et de l’Image Imprimée, Rue des Amours, 10, 7100 La Louvière, Belgique. Jusqu’au 23 février 2020.
Kiki Smith: I am a Wanderer, Museum of Modern Art Oxford, 30 Pembroke St, Oxford OX1 1BP, Royaume-Uni. Jusqu’au 19 janvier 2020.
Kiki Smith, Compass, Galleria Continua, Via del Castello, 11, 53037 San Gimignano SI, Italie. Jusqu’au 6 janvier 2020.
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