« La vie ne se mesure pas au nombre de respirations que vous prenez mais aux moments qui vous coupent le souffle. » — Maya Angelou
Lynette Yiadom-Boakye
« Un livre est une fenêtre par laquelle on s’évade. » — Julien Greene
Née à Londres de parents ghanéens, Lynette Yiadom-Boakye (1977-) est l’une des artistes phares de la peinture figurative contemporaine. Sa pratique s’inscrit dans une relecture de l’histoire de l’art à l’aune de l’exclusion et de la marginalisation des noirs dans la peinture occidentale. Ses portraits de personnages fictifs sont à la fois intemporels et régaliens. Elle se nourrit d’images trouvées, de dessins et de ses souvenirs pour construire en l’espace d’une journée l’un de ses tableaux “alla prima”. La couleur est au cœur de son oeuvre et en travaillant par aplats successifs, le rendu de la peau de ses sujets laisse transparaître une multitude de nuances et de contrastes chromatiques. Ses toiles évocatrices sont à la fois sombres et lumineuses et ses coups de pinceaux expressionnistes évoquent une ambiance théâtrale qui confère à ses personnages une réelle présence. Comme elle l’explique: “le point de départ est toujours le langage de la peinture et la manière dont celui-ci se rapporte au sujet abordé.”
Copyright © 2020, Zoé Schreiber
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Lynette Yiadom-Boakye, ’A Mind for Moonlight’, Corvi-Mora, Londres
La qualité des œuvres présentées dans le cadre du Pavillon du Ghana a fait l’unanimité à la 58e Biennale de Venise. Pour sa première participation à cette manifestation artistique incontournable, le Ghana a mis à contribution des artistes vivant dans le pays et ceux issus de la diaspora. Parmi les six artistes exposés, Lynette Yiadom-Boakye, la peintre et écrivaine britannique nominée au prestigieux Turner Prize en 2013. Ses toutes dernières toiles sont à découvrir à la galerie Corvi-Mora à Londres. Si d’aventure vous deviez vous rendre dans la capitale anglaise pour les foires Frieze London, Frieze Masters ou 1-54 Contemporary African Art Fair, une visite hors des sentiers battus vaut le détour.
Née à Londres de parents ghanéens en 1977, Lynette Yiadom-Boakye est l’une des artistes majeures de la peinture figurative contemporaine. Connue pour ses portraits à la fois intemporels et régaliens, l’artiste plasticienne cite volontiers John Singer Sargent, Manet ou encore Walter Sickert parmi les peintres qui l’inspirent. A l’instar de ses contemporains, l’américain Kehinde Wiley et la nigériane, Njideka Akunyili Crosby, sa pratique artistique s’inscrit dans une relecture de l’histoire de l’art à l’aune de l’exclusion et de la marginalisation des noirs dans la peinture occidentale.
Les “suggestions de personnes” qui jalonnent son œuvre sont le fruit de son imagination. Elle se nourrit d’images trouvées, de dessins et de ses souvenirs pour construire en l’espace d’une journée l’un de ses portraits “alla prima”. Cette démarche lui permet de traduire l’essence de ses personnages fictifs et de capturer la fugacité de l’instant. La part d’improvisation inhérente à son processus créatif se décèle dans le rythme saccadé de ses touches de peinture et dans l’abstraction des arrière-plans à peine esquissés. Peu ou pas d’indices pour éclairer le spectateur qui est de ce fait invité à compléter la narration et à imaginer la vie de celui où de celle que Lynette Yiadom-Boakye lui présente. La couleur est au cœur de son travail et en travaillant par aplats successifs, le rendu de la peau de ses sujets laisse transparaître une multitude de nuances et de contrastes chromatiques. Ses toiles évocatrices sont à la fois sombres et lumineuses et ses coups de pinceaux expressionnistes évoquent une ambiance théâtrale qui confère à ses personnages une réelle présence.
La plupart d’entre eux sont noirs parce que, comme elle l’explique: “Ce serait beaucoup plus étrange, je crois, si mes sujets étaient Blancs. Pour moi, ce sentiment d’une sorte de normalité n’est pas nécessairement une célébration, c’est davantage une conception générale de la normalité. C’est un geste politique. Nous sommes habitués à regarder des portraits de Blancs dans la peinture.”
L’exposition à la galerie Corvi-Mora s’intitule A Mind for Moonlight et permet de découvrir douze des œuvres les plus récentes de l’artiste plasticienne. Les toiles de grand format sont accrochées relativement bas de telle sorte à nous donner l’impression que les hommes et les femmes que l’on croise nous observent et nous regardent droit dans les yeux. Impossible de ne pas se demander qui ils sont, ce qu’ils font, voire ce qu’ils pensent.
Comme à l’accoutumée dans l’œuvre de Lynette Yiadom-Boakye, chaque tableau est à “lire” comme une nouvelle rédigée au pinceau et l’accrochage nous encourage à chercher le fil conducteur entre les toiles présentées. Pas de personnages secondaires à l’horizon. Chacun des sujets est l’acteur de sa propre vie. Il existe dans toute sa singularité et tient la vedette dans le tableau. Il ne se voit pas en haut de l'affiche, il y est déjà. Comme elle l’explique: “Bien qu'ils ne soient pas réels, j’ai le sentiment de les connaître. Ils sont investis d'un pouvoir qui leur est propre; ils ont une résonance - quelque chose d'emphatique et d'un autre monde. Je les admire pour leur force, leur force morale. S’ils étaient pathétiques, ils ne figureraient pas dans mes toiles, si quelqu’un m’inspire de la pitié, je ne m’y intéresse pas. Je n'aime pas peindre de victimes.”
Les personnages présentés dans l’exposition sont imposants, plus grands que nature. Seuls ou en groupe, debout ou assis, allongés ou attablés dans des intérieurs domestiques ou en extérieur... Le cadre spatio-temporel reste flou comme pour attiser la curiosité du spectateur et l’aider à se projeter. Seules les poses, les styles vestimentaires et l’expression des visages nous permettent d'imaginer leurs histoires, leurs occupations et leurs émotions. Dans certaines oeuvres, l’artiste laisse volontairement des plages de toile vierge et nous invite littéralement à “combler les vides”.
Les tableaux évoquent des moments d’oisiveté, de réflexion, de calme et d’attente. Dans une série de trois tableaux exposés côte à côte, trois personnages solitaires (deux femmes et un homme) sont assis de profil autour d’une table en bois. Les femmes sont en introspection tandis que l’homme nous regarde. Un autre tableau leur répond et met en scène un homme, peint de face, les yeux fermés. Aux compositions plus statiques, Lynette Yiadom-Boakye oppose des scènes plus dynamiques, comme celle d’un groupe d’hommes qui se promène à l’extrémité du cadre. Une autre oeuvre met en scène un homme allongé dans un lit, les bras croisés derrière la tête dont le regard bienveillant et souriant semble nous accompagner tout au long de notre visite.
Les peintures de Lynette Yiadom-Boakye nous interpellent dans la mesure où elles questionnent la visibilité et la représentation des noirs dans l’histoire de l’art. Lynette Yiadom-Boakye ne peint pas des portraits de personnes mais des personnages fictifs, des individus qui évoluent hors contexte et n’ont d’existence que picturale... Comme elle l’explique “le point de départ est toujours le langage de la peinture et la manière dont celui-ci se rapporte au sujet abordé.”
Lynette Yiadom-Boakye, A Mind for Moonlight, Corvi-Mora, 1a Kempsford Road (off Wincott Street), London, SE11 4NU, UK. Jusqu’au 26 octobre 2019.
En mai 2020, la Tate Modern consacrera une exposition personnelle à Lynette Yiadom-Boakye.
19 mai – 31 août 2020
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Frieze London & Frieze Masters, Regent’s Park, London, UK. 3-6 octobre 2019.
1-54 Contemporary African Art Fair, Somerset House, Strand, WC2R 1LA London, UK. 3-6 octobre 2019.
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Ghana Freedom – The Ghanian Pavilion at the 58th Venice Art Biennale 2019, Venise, Italie. Jusqu’au 24 novembre 2019.
Copyright © 2019, Zoé Schreiber