L'exposition Time in Motion rend hommage à Pol Bury (1922-2005), figure emblématique de l'art belge d'après-guerre, pionnier du cinétisme et membre du groupe ZERO. La rétrospective que lui consacre le Palais des Beaux-Arts (BOZAR) retrace le cheminement de cet artiste visionnaire et cartographie les influences qui ont forgé son œuvre singulière et protéiforme. Une soixantaine de ses sculptures motorisées sont présentées aux côtés des peintures et travaux graphiques de ses débuts et, point d'orgue de la visite, une de ses fameuses fontaines, clôture le parcours.
L'exposition se veut chronologique et nous invite à suivre l'évolution du travail de l'artiste qui a contribué, par le biais de rencontres déterminantes, à certains des grands mouvements artistiques du XXème siècle.
Influencé d'abord par les toiles et la poésie des surréalistes René Magritte et Achille Chavée (La Serrure, 1945-1946), il rejoint ensuite les acteurs du mouvement CoBrA, Christian Dotremont et Pierre Alechinsky, passe par le lettrisme aux côtés de son ami André Balthazar avant d'enfin se consacrer à la sculpture lorsqu'il repère en 1950 à la Galerie Maeght à Paris les Mobiles du sculpteur américain Alexander Calder (Plans Mobiles, 1953).
Si ses premières peintures sont très colorées, elles s'éloignent progressivement de la figuration et, en évoluant vers l'abstraction géométrique, s'affranchissent du support bi-dimensionnel de la toile... Elles témoignent de l'énergie créative de Pol Bury qui, en quête permanente de son propre langage visuel, expérimente avec les codes des mouvements picturaux de l'époque. Une des nombreuses citations qui jalonnent Time in Motion est révélatrice de l'état d'esprit du jeune artiste: "mon séjour chez CoBrA m'a fait découvrir que les groupes étaient utiles à condition d'en sortir."
Une salle est dédiée au graphisme expérimental, au lettrisme et à la pataphysique. En 1953, Pol Bury et le poète André Balthazar fondent à La Louvière, ville d'où ils sont tous deux originaires, la maison d'édition "Daily-Bûl" et l'"Académie de Montbliart" et donnent libre cours à leur esprit facétieux dans une série de publications qui allient humour, littérature et arts graphiques.
J'ai été séduite par ses Plans mobiles qui se situent à la croisée de la peinture et de la sculpture et sont les premières œuvres animées de l'artiste. Ces "peintures" en relief sont constituées de panneaux géométriques superposés qui, quand ils sont actionnés, tournent autour d'un axe central.
Lors de leur présentation à la Galerie Apollo à Bruxelles (exposition 10 Plans Mobiles en 1953), le visiteur était invité (par un écriteau portant l'inscription "Veuillez toucher") à faire pivoter les différents panneaux afin de créer une infinité de nouvelles compositions et de "compléter" l'œuvre en actionnant le mouvement. Le visiteur devenait en quelque sorte acteur de l'œuvre.
Toutefois, comme l'explique Gilles Marquenie, historien d'art et conseiller artistique de l'exposition: "cette noble intention est un peu illusoire: le public se laisse surtout tenter par le gimmick consistant à faire tourner les panneaux très vite, comme une roue de la fortune. Ce n'était évidemment pas l'intention de l'artiste qui, pour remédier à ce problème, introduit dans ses Plans mobiles ultérieurs un moteur électrique permettant aux panneaux de bouger, mais très lentement afin d'éliminer l'intervention du spectateur."
En effet, chez Pol Bury le mouvement s'inscrit dans la durée et sa perception se fait dans la lenteur. Il est d'ailleurs considéré comme le maître absolu du mouvement lent en sculpture. Le mouvement qui anime les sphères, tiges métalliques, cylindres érectiles et autres composantes de ses oeuvres est quasiment imperceptible, imprévisible, aléatoire... Comme le faisait remarquer l'artiste: "la vitesse limite l'espace, la lenteur le multiplie."
Tout au long du parcours, l'accent est mis sur le rapport privilégié que Pol Bury tisse entre ses oeuvres et le visiteur. Au fur et à mesure, les matériaux utilisés pour l'exécution des sculptures s'ennoblissent. La notoriété croissante du sculpteur, qui représenta la Belgique lors de la Biennale de Venise en 1964, lui permet de troquer le bois de récupération pour l'acier poli et brossé et de passer à des réalisations à plus grande échelle, dont les surfaces miroitantes m'ont fait penser à certaines œuvres du plasticien britannique Anish Kapoor.
Deux sculptures ont retenu mon attention: les 49 boules de même couleur sur un plan incliné mais surélevé (1966) qui défient la gravité et l'impressionnant 4047 cylindres érectiles (1972), une paroi en chêne noir de 7 mètres de long qui rappelle un paravent. La mécanique invisible du travail de Bury captive et on ne peut qu'admirer les prouesses techniques à l'origine de ses sculptures à la fois ludiques et enthousiasmantes.
Regarder les œuvres de Pol Bury est une expérience qui mobilise les sens: nos yeux les scrutent attentivement pour en discerner les légers changements, nos oreilles sont à l'écoute des sonorités, tictacs, cliquetis et bruissements "musicaux" qu'elles génèrent... Notre attention est captée par la cadence ralentie qui invite à la méditation... La conception du temps que nous propose l'artiste s'inspire, comme le souligne Gilles Marquenie dans le catalogue d'exposition, de celle du philosophe Gaston Bachelard pour qui "le temps n'est pas une donnée s'écoulant de manière continue [mais] se définit exactement par ses interruptions. C'est précisément par ces moments d'inertie que nous prenons conscience du temps et du mouvement." Dans un monde où la frénésie est de rigueur, cette invitation à la pause n'en est que plus gratifiante...
Pol Bury, 'Time in Motion', BOZAR/Palais des Beaux-Arts, Rue Ravenstein 23, B-1000 Bruxelles, Belgique. Jusqu'au 4 juin 2017.
Copyright © 2017, Zoé Schreiber