Cesare Fabbri est mis à l'honneur dans l'exposition The Flying Carpet à la Fondation A Stichting. C'est la première fois que le travail du photographe italien est exposé dans les locaux des anciennes usines Bata et c'est avec plaisir que j'ai découvert et le lieu et l'univers de l'artiste.
La visite s'articule autour de trois séries de photographies et associe le verbe à l'image dans la mesure où une citation littéraire enrichit et invite chaque fois l'œil du visiteur à la découverte du travail. Les tirages se déclinent en noir et blanc et en couleur et Cesare Fabbri nous offre sa narration de l'Italie par le biais de clichés tirés entre 2005 et 2016. Les lieux figés sur papier sont authentiques et présentés en l'état, une façon de mettre en évidence la qualité artistique et la poésie des "choses vraies" qui n'est pas sans rappeler les codes stylistiques du cinéma néo-réaliste italien d'après-guerre.
Orlando, la première collection de tirages, s'inspire du héros du poème épique éponyme qui, à la découverte des initiales de sa bien-aimée entrelacées à celles de son amant sur le tronc d'un arbre, perdit la raison. La série se compose de 21 photographies prises dans le nord de la Toscane. Cesare Fabbri tourne son objectif vers les arbres qui peuplent la forêt de Garfagnana et immortalise ceux dont l'écorce est gravée d'initiales. Cet "alphabet" anonyme, que l'on a coutume d'associer aux déclarations d'amour, est photographié frontalement et en gros plan. Par ce procédé, Cesare Fabbri isole le signe incrusté et le répertorie à l'instar de la syntaxe proposée par le photographe américain Lee Friedlander dans son livre Letters from the People.
L'accrochage des tirages renforce la ressemblance formelle des images. L'émotion esthétique est intense et l'écorce de l'arbre rappelle la peau scarifiée. Les gros plans personnifient les troncs et l'inscription devient cicatrice sur et dans leur chair.
The Flying Carpet réunit une série de clichés surprenants qui, bien que très construits, semblent avoir été saisis sur le vif. Les photographies documentent les chemins et les routes d'Emilie-Romagne et de Sardaigne et prolongent le regard du photographe sur le paysage vu et vécu au quotidien. D'aucuns trouveront peut-être les photographies quelconques mais c'est leur simplicité apparente qui les rend belles et la magie s'opère quand l'obturateur fige le mouvement implicite de l'objet dans le décor inhabité. Les couleurs semblent délavées par le soleil ou passées par le temps et cette impression donne aux clichés une qualité proche de celle du documentaire.
L'exposition s'intitule The Flying Carpet et on comprend mieux, en lisant l’essai de Jean-Paul Deridder, directeur de la fondation, le pourquoi de ce titre mystérieux qui est aussi celui de la série: "drôle de drone, moyen de locomotion symbolique et fantastique, le tapis volant, permet de survoler le monde, de le représenter. Avec ses images photographiques enchanteresses, presque solitaires, Cesare Fabbri cherche la géométrie appropriée pour décrire le monde, non sans un certain humour, en en rassemblant, chose après chose, les fragments, les éclats, les brisures."
La troisième série en noir et blanc est la plus récente et a été réalisée alors que Cesare Fabbri sillonnait la Sardaigne. Les images ont été prises à la chambre photographique 8x10 et cartographient un paysage aride où vestiges anciens côtoient des sites modernes à l'abandon... Les clichés sont plus statiques et ils mettent en scène les hommes qui ont contribué à façonner le territoire.
Même si Sardaigne est plus "habitée", il n'en demeure pas moins que la présence humaine est décelable en filigrane tant dans la série Orlando que dans The Flying Carpet...
A mon sens, les photographies présentées dans The Flying Carpet offrent une clé de lecture pour comprendre l'impact de l'homme sur son environnement. Si tel est le cas, la note finale de Cesare Fabbri dans le livre publié à l'occasion de l'exposition n'en est que plus pertinente: "parfois, le familier devient invisible. Les photographies nous permettent de découvrir et de voir pour la toute première fois ce qui était juste devant nos yeux."
Fondation A Stichting, Avenue Van Volxem 304, B-1190 Bruxelles, Belgique. Jusqu'au 26 mars 2017.
Copyright © 2017, Zoé Schreiber