'Artemisia', galerie Albert Baronian

Artemisia, l'accrochage "féminin" que nous propose la galerie Albert Baronian, nous invite à aller à la rencontre du travail de cinq artistes qui ont privilégié ou qui privilégient l'abstraction dans leur pratique artistique. La visite met en lumière une sélection d'oeuvres sur toile et sur papier et nous éclaire sur leurs démarches respectives. L'exposition éponyme rend hommage à Artemisia Gentileschi (1593-1653), une artiste-peintre italienne majeure du courant caravagesque, un courant pictural du XVIIème siècle, assimilé au baroque romain.

Amy Feldman et Marina Adams, 'Artemisia', galerie Albert Baronian, vue d'exposition. Image courtesy: galerie Albert Baronian

Amy Feldman et Marina Adams, 'Artemisia', galerie Albert Baronian, vue d'exposition. Image courtesy: galerie Albert Baronian

La délicatesse des quatre tableaux intimistes, de petit et de moyen format, d'Ilse D'Hollander (1968-1997) accueille le visiteur. Ses paysages esquissés rappellent ceux de son ami et compatriote, le peintre belge Raoul De Keyser (1930-2012), et les aplats de couleurs aux tonalités grises, vertes et bleues évoquent la mélancolie d'une journée pluvieuse. Ses coups de pinceau expressifs immortalisent sa sensibilité exacerbée, tant dans ses peintures sur toile que dans celles sur papier que l'on peut découvrir dans le deuxième espace de la galerie. 

Ilse D'Hollander, 'Artemisia', galerie Albert Baronian, vue d'exposition. Image courtesy: galerie Albert Baronian

Ilse D'Hollander, 'Artemisia', galerie Albert Baronian, vue d'exposition. Image courtesy: galerie Albert Baronian

Surgissent ensuite les grands tableaux de la new-yorkaise Amy Feldman (née en 1981). Le tracé sinueux des formes qu'elle dessine est à la fois viscéral et enfantin et rend ses oeuvres facilement reconnaissables. Les coulures de peinture et les plages de couleurs posées à la hâte sont autant de signes qui attestent de la spontanéité de l'exécution de ses toiles. L'expressionnisme de sa palette de blanc et de gris enrichit le pouvoir évocateur de son travail et joue un rôle primordial dans ses compositions.

A l'apparent monochrome des oeuvres d'Amy Feldman succède la collision des blocs de couleurs de Marina Adams (née en 1960). Une vitalité éclatante et communicative sous-tend l'exubérance des toiles de cette peintre américaine. Demi-cercles, triangles et rectangles aux contours souples et arrondis s'emboitent les uns dans les autres à la manière de Sonia Delaunay (1885-1979). L'application rapide et intuitive de la peinture, translucide par endroits et opaque à d'autres, révèle en transparence des nuances chromatiques surprenantes et harmonieuses. Comme l'explique l'artiste: "à cet égard [le rythme de la peinture], je pense plutôt à la musique, étant donné qu'il y a un flux et un continuum."

Leen Voet, 'Artemisia', galerie Albert Baronian, vue d'exposition. Image courtesy: galerie Albert Baronian

Leen Voet, 'Artemisia', galerie Albert Baronian, vue d'exposition. Image courtesy: galerie Albert Baronian

Les tableaux de la belge Leen Voet (née en 1971) et de l'écossaise Fiona MacKay (née en 1984) se situent quant à eux au confluent de l'abstraction et de la figuration. Les toiles vitaminées, à la fois graphiques et rigoureusement composées, de la première présentent des paysages et des scènes d'intérieur. La série de Leen Voet s'intitule Bert Vandael et revisite les travaux à l'aquarelle qu'elle a réalisé lors de ses études auprès d'un professeur du même nom. Elle morcèle les images qu'elle peint en moult couches de couleurs auxquelles elle ajoute des motifs circulaires ou en zigzags et des lignes striées ou hachurées. Les contours des formes géométriques qu'elle colorie sont stricts et les plages chromatiques "pop" et fluo se côtoient sans jamais se confondre. L'artiste cite volontiers Henri Matisse parmi ses sources d'inspiration et la saturation des couleurs rappelle la palette solaire et joyeuse des paysages californiens de David Hockney.

Fiona MacKay imbibe ses tableaux de teinture textile (batik dye). Secs, les pigments ne font plus qu'un avec la surface et la texture de la toile. Par ce procédé au rendu imprévisible, elle s'inscrit dans la lignée de l'artiste américaine Helen Frankenthaler (1928-2011). Les formes, amples et souples, sont anthropomorphes et fantaisistes. Les grands formats dans la salle arrière de la galerie dépeignent, comme nous l'indiquent leurs titres, un Lotus (2016) et un Serpent (2016), mais leur stylisation et les plans resserrés laissent planer une certaine ambiguïté sur ce qu'ils représentent vraiment.

Artemisia célèbre la beauté immédiate de la couleur et propose un vaste éventail chromatique et stylistique: les camaïeux de gris d'Amy Feldman passent le relai aux tonalités plus vives de Fiona MacKay et Marina Adams et les compositions épurées d'Ilse D'Hollander cèdent le pas à celles plus complexes de Leen Voet. Les oeuvres sur papier dans le deuxième espace de la galerie prolongent cette "mise en bouche" convaincante.

Si les expositions de groupe exclusivement masculines continuent à être monnaie courante, celles qui, à l'instar d'Artemisia, mettent à l'honneur des artistes femmes et améliorent ainsi la visibilité de leur travail se comptent encore sur les doigts de la main. Le parti pris du galeriste Albert Baronian mérite d'être salué: son choix subjectif s'est porté sur un quintet d'artistes confirmées ou émergentes qui lui est cher et qui gagne à être connu. Une exposition n'est jamais aussi gratifiante que lorsqu'elle titille la curiosité du visiteur... A découvrir sans hésitation!


'Artemisia', galerie Albert Baronian, 2 Rue Isidore Verheyden (l'exposition se poursuit au 33 Rue de la Concorde), B-1050, Bruxelles, Belgique. Jusqu'au 28 Octobre 2017.

Copyright © 2017, Zoé Schreiber

Sanam Khatibi, 'Rivers in your mouth', Galerie Rodolphe Janssen

Sanam Khatibi laisse se déployer son univers onirique dans l'un des espaces de la galerie Rodolphe Janssen. Les oeuvres de cette artiste d'origine iranienne s'inspirent et revisitent les tableaux des maîtres de la Renaissance et mettent à nu l'animalité et les instincts primaires du genre humain. Intitulée Rivers in your mouth, l'exposition examine la frontière ténue qui sépare la peur du désir, la violence du plaisir, la domination de la soumission tout en évoquant en filigrane l'évolution du rapport hommes-femmes dans la société contemporaine.

Sanam Khatibi, Rivers in your mouth, installation view, rodolphe janssen, Brussels, Belgium 2017. Photo credit: Hugard & Vanoverschelde photography

Sanam Khatibi, Rivers in your mouth, installation view, rodolphe janssen, Brussels, Belgium 2017. Photo credit: Hugard & Vanoverschelde photography

Autodidacte, son travail singulier se nourrit de deux thèmes récurrents: celui du paysage et de la nature et celui du corps féminin qu'elle explore dans la figure de la nymphe, cette divinité féminine empruntée à la mythologie grecque et romaine. En représentant ses nymphes en "contrapposto", l'artiste fait ressortir, à l'instar de la Vénus de Botticelli, leurs silhouettes gracieuses et élancées. Leur nudité paradisiaque évoque la tentation mais, comme c'est souvent le cas, le diable est dans les détails et, à y regarder de plus près, on se rend compte que les apparences sont trompeuses et un sentiment de malaise lancinant traverse les tableaux.

Sanam Khatibi, Days and days without love, 2017 Oil and pencil on canvas 160 x 200 cm 63 x 78 3/4 in Image courtesy the artist and galerie Rodolphe Janssen, Brussels Photo credit: Hugard & Vanoverschelde photography

Sanam Khatibi, Days and days without love, 2017 Oil and pencil on canvas 160 x 200 cm 63 x 78 3/4 in Image courtesy the artist and galerie Rodolphe Janssen, Brussels Photo credit: Hugard & Vanoverschelde photography

Le spectateur est invité à pénétrer dans un monde dont la beauté cruelle fascine, un monde à la fois terrifiant et enchanteur où, dans des paysages lumineux, des nymphes à la peau diaphane et à la chevelure esquissée d'un simple trait de crayon, s'adonnent à diverses activités. Seules ou en groupe, elles chassent et tuent les animaux qui les entourent, animaux qui eux aussi tuent leurs congénères. Etant donné que ces "chasseresses" sont presque interchangeables tant elles se ressemblent et tant leurs visages sont dépourvus d'expression, l'artiste laisse non seulement au visiteur la liberté d'interpréter les scènes qu'il regarde mais laisse aussi planer l'ambigüité sur les émotions que ces femmes-prédatrices éprouvent en exhibant leur "butin" de chasse... On en vient à se demander si la cruauté de leurs actes est gratuite ou si elles chassent leurs proies pour subvenir à leurs besoins. 

Sanam Khatibi, Empire of the birds, 2017 Oil and pencil on canvas 200 x 250 cm 78 3/4 x 98 3/8 in. Image courtesy the artist galerie Rodolphe Janssen, Brussels Photo credit: Hugard & Vanoverschelde photography

Sanam Khatibi, Empire of the birds, 2017 Oil and pencil on canvas 200 x 250 cm 78 3/4 x 98 3/8 in. Image courtesy the artist galerie Rodolphe Janssen, Brussels Photo credit: Hugard & Vanoverschelde photography

La tapisserie et les quatre très grands tableaux placent le spectateur à la lisière d'une clairière, en "caméra subjective" derrière une branche ou un buisson. En regardant les toiles, on a le sentiment de guetter des yeux les créatures que Sanam Khatibi nous donne à voir. La végétation luxuriante qui encadre les décors aux couleurs pastel, l'absence d'ombres et la lumière diffuse, voir artificielle, qui illumine les toiles leur donnent une qualité surréelle et atemporelle.

Sanam Khatibi, Don't worry I shall be gentle with you my darlings, 2017 Oil and pencil on canvas 200 x 250 cm 78 3/4 x 98 3/8 in Image courtesy the artist and galerie Rodolphe Janssen, Brussels Photo credit: Hugard & Vanoverschelde photography

Sanam Khatibi, Don't worry I shall be gentle with you my darlings, 2017 Oil and pencil on canvas
200 x 250 cm 78 3/4 x 98 3/8 in Image courtesy the artist and galerie Rodolphe Janssen, Brussels Photo credit: Hugard & Vanoverschelde photography

Les oeuvres sont peuplées d'animaux et lièvres, oiseaux, chiens et serpents figurent en bonne place. A l'évidence, ils communiquent entre eux: ils couinent, piaillent, aboient et sifflent. Les femmes se regardent et elles aussi interagissent... Que se disent-elles et, si elles se parlent, dans quelle langue s'expriment-elles? On devine le bruissement du vent dans les feuilles et le ruissellement de l'eau. Les oreilles en plâtre présentées sur une plaque en marbre dans la deuxième salle de l'exposition font écho aux offrandes qui figurent dans les tableaux et suggèrent la possibilité d'un paysage sonore. 

Sanam Khatibi exalte une vision de la femme émancipée des cadres sociaux traditionnels, elle décrit un monde qui n'accorde qu'une place secondaire aux hommes. Ces-derniers, singulièrement absents des grandes compositions hormis sous la forme d'un satyre à la tombée de la nuit, se retrouvent dans les petits formats à la facture plus spontanée. Génies des bois, certains d'entre eux ne manquent pas d'humour à l'instar de la créature vêtue d'une peau de bête qui tire la langue dans le tableau intitulé I think we should get a divorce (2017). 

Sur un présentoir au centre de la salle principale, cohabitent les objets fétiches de l'artiste qui, si l'on prend le temps de les chercher, réapparaissent dans ses tableaux: statuettes primitives ou religieuses, serpents, amulettes, vases, figurines en plastique... L'artiste tisse ainsi un trait d'union entre sa fiction picturale, nourrie de mythes et d'archétypes, et le ressenti du visiteur. 

Sanam Khatibi, Rivers in your mouth, installation view, rodolphe janssen, Brussels, Belgium 2017. Photo credit: Hugard & Vanoverschelde photography

Le magazine Artsy ne s'y est pas trompé lorsqu'il a repris le travail de cette étoile montante de la scène artistique dans un article consacré aux "vingt artistes féminines qui redéfinissent la peinture figurative" (2016). Dans le "jardin des délices" que dresse Sanam Khatibi, les rôles s'inversent et les femmes, souvent encore reléguées au second plan, ne lâchent rien et bouleversent les normes auxquelles elles sont encore trop souvent assignées. A la lumière des évènements qui défraient la chronique, les images qu'elle nous propose étayent la réflexion sur l'évolution des rapports sociaux entre les sexes.

 

Sanam Khatibi, 'Rivers in your mouth', Galerie Rodolphe Janssen. Rue de Livourne 35, B-1050 Bruxelles, Belgique. Jusqu'au 28 octobre 2017.

Copyright © 2017, Zoé Schreiber

Tracey Emin, 'The Memory of Your Touch', Galerie Xavier Hufkens

Le travail de Tracey Emin, l'égérie du mouvement des Young British Artists (YBA) des années 90, s'expose chez Xavier Hufkens. Une soixantaine d'oeuvres récentes (2016-2017) créées par cette figure emblématique du monde de l'art contemporain sont à découvrir dans les deux espaces de la galerie. Dessins et peintures côtoient néons et sculptures et une vidéo dynamise l'un des murs. Les oeuvres sont expressionnistes et explorent la tension entre le tangible et l'impalpable, le corps et les émotions. Autobiographiques, elles traduisent les obsessions et les tourments d'une artiste qui n'a de cesse de brouiller les pistes entre sa vie privée et son art.

L'intitulé de l'exposition, The Memory of your Touch, s'inspire d'une citation tirée de L'amant de Lady Chatterley (D.H. Lawrence, 1928). Des "écrits" émaillent les travaux exposés et Tracey Emin nous donne à lire une sorte de journal intime, journal où elle nous livre ses sensations et ses états d'âme. Comme dans ses oeuvres précédentes, si son travail se nourrit encore et toujours de son propre corps, de sexe cru, de désir et de sensualité, elle aborde aussi la sensation perdue de l'intime et le souvenir et la perte d'un être cher.

Tracey Emin, 'The Memory of Your Touch', Galerie Xavier Hufkens, vue d'exposition. Photo-credit: Allard Bovenberg, Amsterdam. Courtesy the Artist and galerie Xavier Hufkens.

Tracey Emin, 'The Memory of Your Touch', Galerie Xavier Hufkens, vue d'exposition. Photo-credit: Allard Bovenberg, Amsterdam. Courtesy the Artist and galerie Xavier Hufkens.

C'est le bronze monumental d'une femme qui nous accueille dans la verrière du 6 de la rue Saint-Georges. L'imposant corps sculpté fait écho aux petits formats à patine blanche disséminés au gré des salles. La seule photographie du parcours montre l'artiste de dos, allongée de tout son long sur un lit.

Tracey Emin, You Protected me, 2016 acrylic on board 25,5 x 20,1 x 0,4 cm 9 7⁄8 × 7 7⁄8 × 1⁄8 in. Photo credit: HV-Studio Courtesy the Artist and Xavier Hufkens, Brussels

Tracey Emin, You Protected me, 2016 acrylic on board 25,5 x 20,1 x 0,4 cm 9 7⁄8 × 7 7⁄8 × 1⁄8 in. Photo credit: HV-Studio Courtesy the Artist and Xavier Hufkens, Brussels

La spontanéité de l'exécution des tableaux rappelle la technique du dessin à main levée. De son trait, à la fois fluide et imprévisible, émergent des couches successives de peinture appliquées en amont sur la toile. Parfois, le "fantôme" d'une silhouette préalablement esquissée se devine en dessous d'un aplat de blanc. Les coloris rose pâle, rouge et noir évoquent l'intériorité du corps et les éclaboussures et coulées de peinture encouragent une lecture "organique" des toiles. On perçoit l'influence du peintre autrichien Egon Schiele (1880-1918) avec qui Tracey Emin partage des affinités certaines.

L'artiste croque des figures féminines dans une multitude de positions différentes et nous donne à voir le "sexe dans tous ses états". Si les corps représentés sont indubitablement calqués sur son propre corps, Tracey Emin tente, en omettant d'affiner les traits du visage de son "modèle", de rendre ses "autoportraits" ambigus et plus abstraits. Comme elle l'explique dans un entretien accordé récemment au magazine ARTnews: "si je ne montre pas mon visage, il ne s'agit pas d'un autoportrait, il s'agit plutôt d'une émotion que j'éprouve à laquelle les gens peuvent s'identifier."

Tracey Emin, 'The Memory of Your Touch', Galerie Xavier Hufkens, vue d'exposition. Photo-credit: Allard Bovenberg, Amsterdam. Courtesy the Artist and galerie Xavier Hufkens.

Tracey Emin, 'The Memory of Your Touch', Galerie Xavier Hufkens, vue d'exposition. Photo-credit: Allard Bovenberg, Amsterdam. Courtesy the Artist and galerie Xavier Hufkens.

Dans l'espace situé au 107 de la rue Saint-Georges, l'accrochage fait la part belle à une série de petits dessins à la gouache. Les croquis lèvent le voile sur des épisodes torturés voir tragiques de sa vie: ses avortements successifs et le décès récent de sa mère. Les images que Tracey Emin couche sur le papier sont dures et leur tracé viscéral est chargé d'émotions à vif. 

Tracey Emin, A Feeling of Time, 2016 gouache on paper 10 x 14,8 cm 3 7⁄8 × 5 3⁄4 in. Photo credit: Prudence Cummings Associates Courtesy the Artist and Xavier Hufkens, Brussels

Tracey Emin, A Feeling of Time, 2016 gouache on paper 10 x 14,8 cm 3 7⁄8 × 5 3⁄4 in. Photo credit: Prudence Cummings Associates Courtesy the Artist and Xavier Hufkens, Brussels

La vidéo épistolaire You Made Me Feel Like This, 2017 renvoie explicitement au souvenir et au deuil de sa mère à qui l'artiste rédige une lettre qu'elle lit en voix off. Le néon My love is safe with you X, 2017 illustre combien, aujourd'hui encore, c'est son histoire intime qui sert de terreau à sa création.

Tracey Emin, 'The Memory of Your Touch', Galerie Xavier Hufkens, vue d'exposition. Photo-credit: Allard Bovenberg, Amsterdam. Courtesy the Artist and galerie Xavier Hufkens.

Tracey Emin, 'The Memory of Your Touch', Galerie Xavier Hufkens, vue d'exposition. Photo-credit: Allard Bovenberg, Amsterdam. Courtesy the Artist and galerie Xavier Hufkens.

The Memory of Your Touch met en scène le corps, les pensées et les émotions de Tracey Emin pour qui expression artistique rime avec catharsis. Bien qu'elle persiste à ne parler que d'elle et de son ressenti, force est de constater qu'elle réussit le pari de piquer notre curiosité et on ne peut que saluer son habilité à réinventer inlassablement des façons de se raconter. 

 

Tracey Emin, 'The Memory of your Touch', Galerie Xavier Hufkens, 6 & 107 rue St-Georges, B-1050 Bruxelles, Belgique. Jusqu'au 21 octobre 2017.

Copyright © 2017, Zoé Schreiber

George Shaw, 'The Lost of England', Galerie Maruani Mercier

Les toiles et la sélection de dessins de George Shaw que présente la galerie Maruani Mercier, racontent avec réalisme et précision la spécificité anglaise des paysages post-industriels de Tile Hill, une banlieue ouvrière de Coventry. L'artiste britannique, nominé pour le prestigieux Turner Prize en 2011, promène son regard le long des rues et ruelles des lotissements de logements sociaux qui l'ont vu grandir dans les années 70 et traduit avec une certaine nostalgie l'atmosphère qui a bercé son enfance. L'exposition intitulée The Lost of England ("Les laissés-pour-compte de l'Angleterre") fait référence au Brexit et propose une réflexion sur le souvenir et sur le temps qui passe. 

George Shaw, The Lost of England, Galerie Maruani Mercier, vue d'exposition. Image courtesy Galerie Maruani Mercier

George Shaw, The Lost of England, Galerie Maruani Mercier, vue d'exposition. Image courtesy Galerie Maruani Mercier

Les tableaux sont réalisés à l'émail Humbrol, une peinture prisée par les maquettistes et dont quelques pots sont alignés sur le comptoir à l'entrée de la galerie. D'une minutie extrême, les toiles ont une brillance qui rappelle celle des tirages photos sur papier glacé et le rendu des couleurs est à la fois riche et intense. 

L'accrochage déroule, façon "travelling" cinématographique, des paysages urbains sinistrés voir délabrés. Bien que la démarche de l'artiste s'apparente à celle des cinéastes du "Kitchen Sink," (un genre socio-naturaliste des années 50-60 qui décrit le désenchantement et les frustrations des classes laborieuses), on a le sentiment que George Shaw a pris un réel plaisir à reproduire, en s'inspirant de la centaine de clichés qu'il photographie lors de chacune de ses promenades, les ruelles désertes, les rangées de garages, les terrains de foot abandonnés, les parcs jonchés de détritus... Jamais explicite, la présence humaine se devine en filigrane: un ballon abandonné, l'ombre projetée d'une silhouette, une antenne parabolique, des graffitis sur des façades ou encore des feuilles mortes piétinées.

Le temps paraît figé sous son pinceau et un air de mystère plane sur l'apparente banalité des sujets et des lieux qu'il immortalise. Une peinture particulièrement énigmatique que je vous invite à aller découvrir sur place, s'inspire de L'empire des Lumières (1954) de René Magritte pour magnifier un sujet des plus prosaïques: la bâtisse éclairée de toilettes publiques sur le bord d'une aire d'autoroute...

John Atkinson Grimshaw

A l'instar de son compatriote, le peintre de l'époque victorienne John Atkinson Grimshaw (1836-1893), George Shaw est sensible aux variations de la lumière et aux différences chromatiques selon les heures de la journée. La couleur des ciels varie du bleu cyan au gris taupe en passant par le beige et le rose pâle... On ne sait si la nuit vient de tomber ou si le soleil est sur le point de se lever.

Un arc-en-ciel sert de trait d'union entre un duo de peintures qui dévoile la vue de la chambre qu'occupe l'artiste lorsqu'il séjourne à Tile Hill. Les pavillons avoisinants sont situées en lisière de forêt, forêt qui a inspiré la série de toiles et de dessins à l'aquarelle réalisée lors de sa résidence à la National Gallery à Londres. On peut découvrir certains desdits dessins dans l'exposition qui nous occupe.

Les lieux inhabités invitent le visiteur à se projeter dans les décors mélancoliques. Le plan ressérré d'un appartement, dont l'unique fenêtre est occultée par la croix de saint Georges du drapeau anglais, semble faire allusion au risque d'aveuglement et de repli sur soi qu'engendre fatalement le nationalisme.

George Shaw, The Man Who Would Be King, 2017, humbrol enamel on canvas, 46 x 55 cm. Image courtesy the artist and Galerie Maruani Mercier

George Shaw, The Man Who Would Be King, 2017, humbrol enamel on canvas, 46 x 55 cm. Image courtesy the artist and Galerie Maruani Mercier

L'exposition illustre le sens aigu de l'observation et l'attachement sentimental que George Shaw éprouve pour le quartier de son enfance et son exploration urbaine est tant spatiale que temporelle. 
 

George Shaw, 'The Lost of England', Galerie Maruani Mercier, 430 Avenue Louise, B-1050, Bruxelles, Belgique. Jusqu'au 3 octobre 2017.

Copyright © 2017, Zoé Schreiber