Fire Bill's Spook Kit, l'exposition que présente l'artiste américain Wilmer Wilson IV au In Flanders Fields Museum d'Ypres, ravive un récit relégué en marge de l'histoire de la Première Guerre mondiale. Les oeuvres exposées jusqu'au 7 janvier prochain mettent en lumière le triste sort réservé aux soldats Noirs américains à leur retour aux Etats-Unis. Huit sculptures, dont une monumentale, honorent la mémoire d'une vingtaine d'entre eux qui, victimes de l'intolérance et de la violence raciale endémique de l'époque, furent lynchés au lendemain de la guerre.
L'exposition coïncide avec le centenaire de l'entrée des Etats-Unis dans la "Grande Guerre" et est le fruit des recherches menées par Wilmer Wilson IV, né en 1989 à Richmond en Virginie, lors de sa résidence au In Flanders Fields Museum cette année. A l'instar d'autres artistes afro-américains tels Mark Bradford, Kara Walker, Glenn Ligon, pour ne citer qu'eux, Wilmer Wilson IV propose au visiteur de découvrir une page sombre de l'histoire américaine.
L'exposition intitulée Fire Bill's Spook Kit met en exergue une lettre incendiaire publiée à deux reprises et sous deux formes différentes dans la presse américaine en 1919. La première version est parue dans le Belzoni Banner, un journal qui reprenait le discours ségrégationniste en vigueur au Mississippi dans l'immédiat après-guerre et la seconde a été publiée dans The Afro-American, un journal de la communauté noire édité à Baltimore (Maryland). La lettre, adressée à un shérif du Mississippi, est signée sous le pseudonyme de "Fire Bill". L'auteur y dénonce les lynchages perpétrés au cours du "Red Summer" (les 38 émeutes raciales qui ont secoué les Etats-Unis durant l'été 1919) et menace de "mettre le feu à l'Etat" et d'"empoisonner chaque cheval, chaque mule, et chaque vache" s'il n'est pas mis fin une fois pour toute à la violence à l'encontre des afro-américains.
Dans une imposante sculpture intitulée Measures Not Men (2017), Wilmer Wilson IV sauve cet écrit de l'oubli en gravant les deux versions de la lettre sur l'envers et l'endroit d'une "paroi" longue de près de trois mètres. Ce monument rappelle les cénotaphes qui jalonnent les paysages de la région d'Ypres tout en imprimant dans la pierre la missive de Fire Bill. Réalisée à partir de l'accumulation de près de trois tonnes de blocs de sel de bétail, la sculpture permet à Wilmer Wilson IV de faire écho au bétail que Fire Bill menace d'empoisonner dans sa lettre... Une photographie (Study for Measures Not Men, 2017) qui figure dans le livre d'artiste publié à l'occasion de l'exposition, nous donne à penser, que, si elle devait être exposée dans un champs, cette sculpture en pierre de sel pourrait faire le bonheur des animaux d'élevage et se désintégrer à l'assaut de leurs coups de langue.
Le visiteur est encouragé à circuler autour de ce monument "éphémère" et, ce faisant, à découvrir de visu les divergences subtiles au niveau de la syntaxe et du contenu des deux versions de la lettre de Fire Bill. A défaut d'avoir retrouvé l'original de la missive, c'est l'interprétation que proposent les deux versions publiées de la lettre qui interpellent l'artiste... Il les confronte et les fait dialoguer entre elles dans le "va-et-vient" que le visiteur est invité à faire entre les deux faces gravées de l'oeuvre... La "face" qui correspond à la lettre publiée dans le Belzoni Banner est truffée de fautes d'orthographe ("Mississippi" est écrit "Missipy" et "mule", "mul"), une façon peut-être d'en décrédibiliser l'auteur. Comme l'explique l'artiste et écrivain Mashinka Firunts dans un essai repris dans le livre d'artiste: "En positionnant Fire Bill en dehors du domaine du langage officiel, le Banner espérait le déposséder de sa capacité à s'exprimer".
Toutefois, en dépit de la syntaxe approximative et des fautes d'orthographe, les caractères d'imprimerie de la lettre publiée dans le Belzoni Banner semblent avoir été gravés avec plus d'assurance. Wilmer Wilson IV a fait appel à un professionnel pour la "tailler" dans les blocs de sel alors qu'il a ciselé lui-même celle publiée dans The Afro-American. Par ce procédé, l'artiste traduit visuellement le parti-pris journalistique voir la partialité du discours véhiculé dans chacun des journaux.
Autour de la sculpture, des épouvantails trouvés dans les champs avoisinants sont suspendus à des structures métalliques qui reposent elles aussi sur des blocs de sel à lécher ((Untitled, (Scarecrow) 2017). Bien qu'ils n'aient aucun lien intrinsèque avec le propos de l'exposition, insérés dans ce contexte, les épouvantails rappellent les corps des noirs pendus aux branches des arbres dans le Sud des Etats-Unis et glacent par leur impact convaincant...
Le travail de Wilmer Wilson IV détourne des matériaux et des objets usuels auxquels l'artiste attribue d'autres significations en les incorporant dans ses oeuvres. A la lumière des récentes manifestations de suprémacistes blancs à Charlottesville (Virginie) cet été, l'exposition présentée au In Flanders Fields Museum n'en est que plus pertinente.
Wilmer Wilson IV, 'Fire Bill's Spook Kit', In Flanders Fields Museum, Grote Markt 34, 8900 Ypres, Belgique. Jusqu'au 7 janvier, 2018.
Copyright © 2017, Zoé Schreiber