Hiroshi Sugimoto, 'Still Life', Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique

Hiroshi Sugimoto - Still Life, vue d'exposition, Musée royaux des Beaux-Arts de Belgique. Photo: Zoé Schreiber

Hiroshi Sugimoto - Still Life, vue d'exposition, Musée royaux des Beaux-Arts de Belgique. Photo: Zoé Schreiber

Après Anish Kapoor et Olafur Eliasson, c’est Hiroshi Sugimoto (1948-) qui est invité à prendre ses quartiers dans l'espace du Château de Versailles à l'automne prochain. Artiste protéiforme, il y présentera ses dernières créations à la croisée de l'art, de l'architecture et du spectacle vivant. En attendant l'exposition de l’une des figures de proue de la photographie japonaise, les curieux peuvent d’ores et déjà redécouvrir ou se familiariser avec son travail dans les deux salles que lui consacrent les Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique (MRBAB).

L’exposition intitulée Hiroshi Sugimoto: Still Life met en évidence les liens qui unissent peinture et photographie et présente une quarantaine de photos de l’artiste mises en dialogue avec des œuvres de Primitifs flamands (XVe-XVIe siècles) tant anonymes que plus reconnus comme Théodore Géricault (1791-1824), Paul de Vos (1591-1678) et des membres de l’atelier de Pieter Coecke Van Aelst (1502-1550).

Sugimoto est réputé pour ses clichés de paysages marins (Seascapes) et ceux d'anciennes salles de théâtre reconverties en cinémas (Theaters). L’accrochage que nous propose les MRBAB se concentre sur trois séries moins connues mais tout aussi représentatives de sa démarche: la série des dioramas, celle des portraits de personnages historiques en cire et celle des premiers négatifs du scientifique britannique William Henry Fox Talbot (1800-1877).

Adepte du noir et blanc, l’artiste installe ses photographies dans la durée et développe une réflexion sur la nature et la perception du temps. Ses images à la fois conceptuelles et méditatives explorent comment la photographie permet de saisir l’instant et comment elle permet de questionner le réel.

Les frontières qui séparent l’illusion de la réalité, la fiction du réel et l’instantané du moment à la durée du temps de pose se brouillent entre les mains d’Hiroshi Sugimoto. 

Les œuvres qui ouvrent le parcours font partie de la série des dioramas, œuvre fondatrice qui lança la carrière d’Hiroshi Sugimoto. Le diorama est une reconstruction en trois dimensions d’une scène où, figés derrière une vitre, des animaux empaillés sont replacés dans leur milieu naturel. Les dioramas font leur entrée dans les musées au XIXe siècle et visent, par un effet d’optique, à plonger littéralement le spectateur qui les regarde dans les paysages représentés. En 1974, Sugimoto découvre les dioramas du musée américain d’histoire naturelle de New York. L’aspect artificiel de la mise en scène l’interpelle et, à force de les observer, il lui semble que "l’illusion fonctionnerait mieux à travers l’œil d’un appareil photographique supposé toujours montrer la réalité brute". 

Les images mettent en avant l’intemporalité de la nature et la majesté des animaux: un troupeau de gazelles succède à une horde de vautours, à une famille de condors et à une meute de loups… Présents à la fois dans les tableaux et dans les photos, lions et cerfs semblent migrer d’un cadre à l’autre. De prime abord, le spectateur "croit" aux scènes photographiées, mais, la profondeur de champs, la perspective et le rendu quasi-pictural de certains détails trahissent la nature hyper-composée des mises en scènes. La série des dioramas permet à Hiroshi Sugimoto de tromper le visiteur et de mettre en exergue "les origines mêmes de la photographie [qui, selon lui,] relèvent d’une forme de spectacle qui révèle le monde à partir d’une illusion orchestrée."

Les mêmes observations s’appliquent à la série de photographies de personnages historiques en cire du Musée Tussaud. On y croise Jane Seymour, Ann Boleyn, Catherine d’Aragon, Elisabeth 1er mais aussi Henri VIII, le duc de Wellington et Napoléon Bonaparte. Ces photos entrent en résonance directe avec les collections du MRBAB et corroborent l’assertion d’Hiroshi Sugimoto selon laquelle il "fai[t] de l'authenthique à partir du faux." Là encore, il fige des modèles inertes comme s’il s’agissait d’êtres vivants, posant en chair et en os devant son objectif… L’artiste "remonte le temps" et rend hommage à la peinture flamande en s’inspirant des tenues d’époque, des pauses et de l’éclairage en clair-obscur qui la caractérise. 

Il joue avec les conventions picturales et propose son interprétation de la cène dans une longue frise photographique. Dans l’une des rares compositions en couleur de l’exposition, il photographie une reconstitution de La Leçon de musique (1650-1660) de Johannes Vermeer, un tableau majeur de l’histoire de l’art, et substitue les pieds du chevalet, apparents dans le miroir de l’œuvre originale, par ceux d’un trépied. Ce faisant, il souligne l’effet de profondeur quasi-photographique obtenu par le peintre et évoque aussi l’hypothèse, souvent formulée mais jamais réellement prouvée, selon laquelle Vermeer se serait aidé d’une chambre noire (camera obscura), l’ancêtre de l’appareil photo. 

Hiroshi Sugimoto, The Music Lesson, 1999. Image courtesy: the artist and Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique

Hiroshi Sugimoto, The Music Lesson, 1999. Image courtesy: the artist and Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique

Hiroshi Sugimoto va aux sources de son medium lorsqu’il décide de collectionner et de réaliser des tirages inédits des tous premiers négatifs du pionnier de la photographie, William Henry Fox Talbot. Ce-dernier inventa le procédé du "dessin photogénique" qui permit d’obtenir des images négatives sur du papier. La relecture que l’artiste effectue de ces premières images se décline en couleur sépia et tonalités bleutées et une même aura de mystère plane autour de cette série que dans le plus énigmatique des tableaux anciens… 

Je vous encourage à visiter cette belle exposition même si je dois mettre un bémol à mon enthousiasme. En effet, si une brève notice explicative souligne d’entrée de jeu comment le souci de réalisme des maîtres flamands a influencé la pratique d’Hiroshi Sugimoto, une documentation plus détaillée sur les séries présentées aurait été souhaitable. En outre, les deux documentaires projetés au rez-de-chaussée (la durée de l’un des deux étant de près de 45 mn) portent essentiellement sur les travaux et les sculptures plus récentes de l’artiste.

 

Hiroshi Sugimoto - Still Life, Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, Rue de la Régence 3, B-1000 Bruxelles, Belgique. Jusqu'au 19 août, dans le cadre du Summer of Photography 2018.

 Copyright © 2018, Zoé Schreiber 

'Unexchangeable', WIELS

Louise Lawler, Every Other Picture, 1990. Cibachrome with text on wall, 101.6 x 134.62 cm. Lhoist Group Collection. Courtesy of the artist and Metro Pictures, New York.

Louise Lawler, Every Other Picture, 1990. Cibachrome with text on wall, 101.6 x 134.62 cm. Lhoist Group Collection. Courtesy of the artist and Metro Pictures, New York.

L’exposition intitulée Unexchangeable (Inéchangeable) attire l’attention du public sur les lacunes des collections muséales belges en nous faisant découvrir la qualité, l'audace et l’éclectisme des collections privées du royaume. 

A l’instar de la Centrale Electrique qui a mis à l’honneur les collectionneurs bruxellois dans son exposition Private Choices cette année et de l’exposition Passions secrètes consacrée aux collectionneurs de la région de Courtrai et montrée au Tripostal à Lille en 2014, le WIELS a invité une trentaine de collectionneurs belges à prêter leurs œuvres et se démarque en nous proposant une réflexion sur la notion de "valeur" appliquée à l’art contemporain.

Unexchangeable part du postulat que si art et argent sont intimement liés, les œuvres ne peuvent être réduites à leur seule valeur marchande et questionne le rapport entre la valeur de l’œuvre d’art et le marché de l’art. Souvent acquises quand les artistes n’étaient pas encore des stars de l’art contemporain, les plus de 70 œuvres exposées corroborent l’explication du commissaire de l’exposition, Dirk Snauwaert, selon qui ce sont “le plaisir visuel, la stimulation intellectuelle, l’appréciation sensorielle et la distinction sociale” qui guident le choix des collectionneurs et les poussent à collectionner par goût plutôt que par appât du gain.

L'année 1989 sert de tremplin à l'accrochage. 1989, année charnière s’il en est, a non seulement vu la répression de la manifestation démocratique place Tian’anmen à Pekin, la chute du mur de Berlin, la fin de la guerre froide et de l’apartheid mais aussi le refus de l’ethnocentrisme à l’ère de la globalisation, l’ouverture de l’art sur le monde et sa financiarisation... L’exposition offre un aperçu du paysage artistique de l’époque et porte un regard sur la spécificité des artistes des années 80-90. Les plasticiens repris sont principalement européens et américains et les œuvres proposées analysent souvent ce qui permet à l’art d’être art. La démarche artistique et le cheminement intellectuel priment sur la réalisation et, de ce fait, l’œuvre d’art proprement dite a tendance à "s’effacer". 

Plusieurs mediums (la photographie, la peinture, la sculpture et l’installation) figurent dans l’exposition. Certaines œuvres sont lisibles, d’autres, plus conceptuelles, requièrent plus de contextualisation afin d’être mieux comprises et je vous encourage vivement à vous référer aux explications fournies dans le livret d’exposition.

Dans la première salle, Le marchand (Händler, 2001) de Katarina Fritsch, une sculpture à taille humaine rouge carmin, et une photographie de Richard Prince, issue de sa série d’"appropriations" d’images iconiques de cowboys trouvées sur des paquets de cigarettes Marlboro, servent de mise en bouche. Ces deux œuvres font respectivement allusion aux questions épineuses de la commercialisation de l’art et de la place accordée à l’originalité dans le processus créatif.

Unexchangeable WIELS 2018, vue d'exposition. Photo: Zoé Schreiber

Unexchangeable WIELS 2018, vue d'exposition. Photo: Zoé Schreiber

L’artiste conceptuelle Louise Lawler documente quant à elle la "seconde vie" des œuvres lorsqu’elles quittent l’atelier de l’artiste ou les espaces d’exposition et montre comment l’accrochage et l’environnement dans lequel les œuvres sont présentées impactent notre façon de les appréhender. La photo exposée (Monogram, 1984) est celle d’un drapeau américain de Jasper Johns accroché dans la chambre d’un collectionneur. Plus avant, on peut s’immerger dans l’installation Thrift Store Paintings (1970-…) où Jim Shaw met en scène sa collection de tableaux de peintres amateurs chinée dans des brocantes ou sur eBay et interroge par là-même la légitimité du jugement esthétique établi par l’histoire de l’art.

Nombre d’artistes belges sont représentés (Ann Veronica Janssen, Lili Dujourie, Thierry De Cordier, Guillaume Bijl, Francis Alÿs...) et hommage est rendu à Jef Geys et Jan Vercruysse qui nous ont tous deux quittés cette année. Si les plasticiens du royaume figurent en bonne place, l’accrochage est loin de se cantonner aux frontières nationales et le parcours offre au regard des œuvres des américains Matt Mullican, Jimmie Durham ou Jean-Michel Basquiat, du canadien Jeff Wall, du mexicain Gabriel Orozco, de l’autrichien Franz West ou encore des congolais Chéri Samba et Bodys Isek Kingelez... 

Des œuvres emblématiques de Haim Steinbach, Robert Gober, Felix Gonzalez-Torres, Nan Goldin en côtoient d’autres plus surprenantes, rarement (voir jamais) montrées pour certaines... Lesdites oeuvres témoignent à la fois de la diversité et de l’évolution des pratiques des artistes concernés mais aussi du caractère individuel et subjectif des choix des collectionneurs.

Robert Gobert et Felix Gonzalez Torres, Unexchangeable, WIELS, vue d'exposition. Photo: Zoé Schreiber

Robert Gobert et Felix Gonzalez Torres, Unexchangeable, WIELS, vue d'exposition. Photo: Zoé Schreiber

La salle qui regroupe une demi-douzaine de créations de David Hammons a constitué le temps fort de ma visite. Inspiré par les readymade de Duchamp et par l’Arte Povera, l’artiste afro-américain élève au rang d’objet d’art ses assemblages de détritus et de matériaux recyclés (matelas, bouteilles de whiskey, soutane...) et fait du hasard de ses récupérations le terreau de son travail.

Dans le sillage de l’exposition Le Musée Absent au printemps dernier et à l’heure de l’inauguration du Kanal-Centre Pompidou, le WIELS poursuit sa réflexion sur le futur musée d’art contemporain de Bruxelles et démontre brillamment les opportunités que pourraient présenter les partenariats culturels entre musées publics et collections privées.

 

'Unexchangeable', WIELS, Centre d'Art Contemporain, Avenue Van Volxem 354, B-1190 Bruxelles, Belgique. Jusqu'au 12 août 2018. 

Copyright © 2018, Zoé Schreiber  

'Kanal Brut', Kanal-Centre Pompidou

En attendant le début des travaux de réaménagement et l’ouverture définitive prévue pour 2022, le futur musée d'art moderne et contemporain de Bruxelles a pris ses quartiers pour une "année de préfiguration" dans les locaux de l’emblématique Garage Citroën-Yser situé Quai des Péniches.

La curiosité suscitée par le projet est indéniable et, lors de l’inauguration du Kanal-Centre Pompidou le week-end du 5-6 mai dernier, près de 22.000 visiteurs se sont déplacés pour non seulement découvrir le bâtiment à l'état brut mais aussi le parcours de l’exposition proposé par les commissaires, promenade artistique qui préfigure les activités culturelles qui se dérouleront au cours de l’année à venir et qui marque le lancement du partenariat entre la Région Bruxelles-Capitale, le Centre Pompidou et la Fondation Kanal.

La transformation de l’espace industriel en espace culturel est un projet pharaonique et, au-delà des controverses soulevées par l’initiative, l’exposition inaugurale (intitulé Kanal Brut) permet non seulement d'attiser la curiosité du public mais aussi et surtout d'inscrire ce chef-d’œuvre du patrimoine architectural bruxellois dans les mémoires avant sa réaffectation définitive en musée d’art contemporain et en lieu de vie et de création.

Fort de ses 38 000 mètres carrés de superficie répartis sur cinq étages, l’ancien "Garage Citroën" est en réalité une usine dont les volumes XXL impressionnent. La plupart des hangars et allées de cette cathédrale de verre et d’acier ont été conçus pour accueillir les voitures dans tous leurs états et, dans ce labyrinthe, même les œuvres les plus monumentales paraissent moins imposantes tant elles se fondent dans leur écrin et tant elles ont de place pour "respirer". 

Kanal Brut se compose de plusieurs expositions distinctes où se mêlent sculptures et installations, design et architecture, arts visuels, projections de films et œuvres originales de dix plasticiens "bruxellois" qui rejoindront progressivement la collection de cet établissement en devenir…  Les 300 œuvres présentées ont été tirées des fonds du Centre Pompidou et sont en mesure de résister aux contraintes imposées par le bâtiment industriel avant rénovation. Au vu du gigantisme des lieux, il est fort à parier que vous ne puissiez toutes les découvrir en une seule visite.

"Perdez-vous!" enjoignent les plans distribués dans le hall d’accueil. A l'entrée, la sculpture cinétique de Jean Tinguely (L’enfer un petit bout, 1984) s'anime dans une atmosphère ludique et carnavalesque tandis que l'installation lumineuse de Pascal Marthine Tayou (Open Wall, 2010), composée d’enseignes récoltées de par le monde, nous invite à pénétrer dans l’antre du "plus grand garage d’Europe". Dans l’ancien service electro, L’Usine de Films Amateurs, un studio de cinéma conçu par le cinéaste Michel Gondry, est mis à disposition des réalisateurs en herbe.

Plus loin, et conformément à la volonté des commissaires de sélectionner des œuvres en cohérence avec le cadre qui les abrite, La DS aérodynamique de Gabriel Orozco (1993) s’expose dans l’ancien showroom et des sculptures en tôles sont rassemblées dans l’ancien atelier de carrosserie. Tôles fait dialoguer des œuvres d’Alexandre Calder, de Robert Rauschenberg, de Matthias Goeritz avec celles de Donald Judd, de César ou encore de John Chamberlain.

Au premier étage, l'exposition Station to Station se déploie dans l’ancien parc de stationnement, un immense plateau aux baies vitrées offrant au regard diverses vues urbaines. Les installations abordent la thématique de l’habitat et de la ville du futur. On peut y découvrir la maison suspendue de Toyo Iito (PAO II: A Dwelling for the Tokyo Nomad Women, 1989-2017), le Pavillon en verre de Ross Lovegrove (Pavillon Lasvit LiquidKristal, 2012) et la yourte de Martial Raysse (Oued Laou, 1971/2014). Le prototype de la Maison Tropicale de Brazzaville (1953) de Jean Prouvé est mise en relation avec plusieurs vitrines constituées d’archives du Centre International pour la Ville, l'Architecture et le Paysage (CIVA) qui documentent les réalités du logement au Congo Belge (A chacun sa maison. L'habitat au Congo Belge : 1945-1960). Il convient ici de rappeler que le CIVA installera lui aussi ses locaux sur le site du futur musée.

Dans les anciens bureaux, des œuvres de Marcel Broodthaers, Jenny Holzer, Haim Steinbach, Peter Fischli et David Weiss ou encore d’Alain Séchas sont réunies afin d’évoquer les rouages de l’administration (Objet : Administration).

La réflexion sur l’image en mouvement initiée au rez-de-chaussée dans le studio de Michel Gondry se prolonge aux 3ème, 4ème et 5ème étages (Le lieu du film). N’hésitez pas à vous aventurer sur les rampes qui mènent aux étages supérieurs... Vous y croiserez des œuvres d’artistes minimalistes et conceptuels majeurs tels Dan Flavin, Fred Sandback, Bruce Nauman, Carl André et Sol Lewitt, et pourrez également vous plonger dans les installations visuelles immersives de David Haxton et d’Anthony McCall. 

L’architecture des années 30 de l’ancien garage Citroën est à mon sens le clou du spectacle de cette "année de préfiguration". Après avoir déambulé dans la rue qui traverse le site de 38 000 m2 et accédé aux étages par les différentes rampes qui sillonnent l’espace, L’Auditorium de Franz West (1992), composé de canapés sur lesquels sont posés des tapis d’Orient usagés, offre un cadre de repos bienvenu d’où, confortablement installés, vous pourrez à votre tour vous interroger sur les enjeux du musée de demain qu’est le KANAL-Centre Pompidou.

Franz West, L'auditorium, 1992. Photo credit: Agnès Vandermarcq

Franz West, L'auditorium, 1992. Photo credit: Agnès Vandermarcq

Kanal Brut, KANAL-Centre Pompidou, Quai des Péniches, B-1000 Bruxelles, Belgique. Fermé le mardi. "Année de préfiguration" jusqu'au 10 juin 2019.

Copyright © 2018, Zoé Schreiber  

'Melancholia', Fondation Boghossian, Villa Empain

© Claudio Parmiggiani,  Senza Titolo, 2009  Image courtesy: Fondation Boghossian

© Claudio Parmiggiani,
Senza Titolo, 2009
Image courtesy: Fondation Boghossian

L’exposition pluridisciplinaire que nous propose la Fondation Boghossian part du postulat que la mélancolie est un terreau propice à la création et nous invite à découvrir le travail d’une quarantaine d’artistes belges et internationaux qui ont illustré cette thématique dans leur pratique artistique. Intitulée Melancholia, l'exposition explore comment ils ont décliné la manifestation de cette humeur noire censée engendrer tristesse, vague à l'âme et morbidité.

Organisé de façon thématique en six sections distinctes (Le Paradis Perdu, Mélancolies, Ruines, Le temps qui passe, Solitude et Absence), le parcours s’égrène au fil des salons, salles et chambres de la Villa Empain, l’un des chefs-d’œuvre de l’architecture Art Deco bruxelloise. La disparition, le temps, l'histoire et la mémoire constituent les champs d'interrogations primaires des plasticiens exposés.

L’accrochage et les installations sont rythmés à l'aune de citations de poètes et d'écrivains qui étayent les multiples interprétations du "spleen". Couvrant plus de 150 ans d’histoire, les œuvres dialoguent entre elles et s’inscrivent dans différents courants artistiques: le symbolisme et le surréalisme, l'expressionnisme flamand, le mouvement Fluxus ou encore l'Arte Povera pour ne citer qu’eux.

A peine passé le seuil de la Villa, une première citation du philosophe danois Sören Kierkegaard ("Je n’ai qu’un seul ami, Echo; / et pourquoi est-il mon ami? Parce que j’aime ma tristesse et qu’il ne me l’enlève pas. / Je n’ai qu’un seul confident, le silence de la nuit; / et pourquoi est-il mon confident? / Parce qu’il se tait") sert de mise en bouche et plonge le visiteur dans une atmosphère méditative. Place ensuite à l’impressionnant monticule de têtes décapitées d’inspiration antique de Claudio Parmiggiani, (Senza Titolo, 2013-2015). Amoncelées les unes sur les autres, ces têtes en marbre évoquent les vestiges de l’antiquité mais aussi le passage du temps et la mort. Plus loin, la bibliothèque de livres en verre diaphane et les photographies noir et blanc de Pascal Convert développent la problématique de l’oubli et de la destruction du patrimoine culturel. Sa série Falaise de Bâmiyân (2017) documente les restes de trois statues monumentales de Bouddhas sculptées en Afghanistan entre 300 et 700 après J-C, détruites et arrachées de la falaise par les talibans en 2001.

A l’étage, Farah Atassi recouvre ses toiles abstraites d’aplats de couleurs aux formes géométriques quasi-figuratives, inspirées tant par le cubisme que par les arabesques et les hiéroglyphes. Samuel Yal fragmente un visage en une myriade de morceaux en porcelaine (Dissolution, 2012), tandis que les autoportraits iconiques de Giuseppe Penone et de Joseph Beuys renvoient à l’introspection et au tempérament saturnien de certains artistes… On croise moults figures solitaires au fil des salles, celles qui peuplent les toiles de Giorgio de Chirico, de Paul Delvaux ou encore de Léon Spilliaert mais aussi une figure filiforme de Giacometti et toutes évoquent à la fois l’isolement, le vertige et la nostalgie.

Les œuvres présentées dans la chambre d’amis décrivent le passage du temps. Constituée de 125 galets ramassés sur une plage en Grèce, l’installation de Lionel Estève (La Beauté d’une Cicatrice, 2012) qui évoque l’évaporation d’un cours d’eau côtoie une photographie d’un îlot désert de Melik Ohanian (Selected recordings n°99, 2003) et un paysage graphique et épuré dessiné à main levée en deux trois traits par Etel Adnan (Soleil sur le Mont Tamalpais, 2016). Paysage réel et paysage mental se confondent et le temps s’étend à l’infini si le visiteur s’immerge dans l’enregistrement du poème sonore One Million Years (Past and Future), 1969-2000), la célèbre œuvre d’On Kawara. 

Melancholia, Fondation Boghossian, Villa Empain, Lionel Estève et Melik Ohanian, vue d'exposition. Image courtesy: Fondation Boghossian © Lola Pertsowsky

Melancholia, Fondation Boghossian, Villa Empain, Lionel Estève et Melik Ohanian, vue d'exposition. Image courtesy: Fondation Boghossian © Lola Pertsowsky

Dans un autre salon, une sculpture en aluminium de El Anatsui (Wastepaper bag, 2003) jouxte l'énigmatique photographie d’une forteresse en ruine capturée par Geert Goiris (Liepaja, 2004).

Melancholia, Fondation Boghossian, Villa Empain, El Anatsui et Geert Goiris, vue d'exposition. Image courtesy: Fondation BoghossianImage courtesy: Fondation Boghossian © Lola Pertsowsky

Melancholia, Fondation Boghossian, Villa Empain, El Anatsui et Geert Goiris, vue d'exposition. Image courtesy: Fondation BoghossianImage courtesy: Fondation Boghossian © Lola Pertsowsky

Enfin, dans le jardin, l’installation de Christian Boltanski (Animitas (2016-2018)) s’anime au moindre souffle de vent et le tintillement des clochettes japonaises et plaques en verre qui la composent nous rappelle que derrière chaque absence se cache une présence…

Melancholia, Fondation Boghossian, Villa Empain, Christian Boltanski, vue d'exposition. Image courtesy: Fondation Boghossian © Lola Pertsowsky

Melancholia, Fondation Boghossian, Villa Empain, Christian Boltanski, vue d'exposition. Image courtesy: Fondation Boghossian © Lola Pertsowsky

L'exposition corrobore le constat de Théophile Gauthier selon lequel: "la mélancolie nuageuse du Nord n'est rien à côté de la lumineuse tristesse des pays chauds." Je vous invite à aller à la découverte des oeuvres exposées à la Villa Empain et à vous laisser emporter par celles qui feront écho chez vous à ce sentiment universel.

Melancholia, Fondation Boghossian, Villa Empain, 67 Avenue Franklin Roosevelt, B-1050 Bruxelles, Belgique. Jusqu'au 19 août 2018. 


Evènements à venir dans le cadre de l'exposition:
* Geert Goiris: Un conversation avec Sam Steverlynck
Mercredi 2 mai 2018, à 19h
* Pascal Convert: une conversation avec Philippe Dagen et Yves Ubelmann
Jeudi 31 mai 2018, à 19h

Copyright © 2018, Zoé Schreiber