L’exposition intitulée Unexchangeable (Inéchangeable) attire l’attention du public sur les lacunes des collections muséales belges en nous faisant découvrir la qualité, l'audace et l’éclectisme des collections privées du royaume.
A l’instar de la Centrale Electrique qui a mis à l’honneur les collectionneurs bruxellois dans son exposition Private Choices cette année et de l’exposition Passions secrètes consacrée aux collectionneurs de la région de Courtrai et montrée au Tripostal à Lille en 2014, le WIELS a invité une trentaine de collectionneurs belges à prêter leurs œuvres et se démarque en nous proposant une réflexion sur la notion de "valeur" appliquée à l’art contemporain.
Unexchangeable part du postulat que si art et argent sont intimement liés, les œuvres ne peuvent être réduites à leur seule valeur marchande et questionne le rapport entre la valeur de l’œuvre d’art et le marché de l’art. Souvent acquises quand les artistes n’étaient pas encore des stars de l’art contemporain, les plus de 70 œuvres exposées corroborent l’explication du commissaire de l’exposition, Dirk Snauwaert, selon qui ce sont “le plaisir visuel, la stimulation intellectuelle, l’appréciation sensorielle et la distinction sociale” qui guident le choix des collectionneurs et les poussent à collectionner par goût plutôt que par appât du gain.
L'année 1989 sert de tremplin à l'accrochage. 1989, année charnière s’il en est, a non seulement vu la répression de la manifestation démocratique place Tian’anmen à Pekin, la chute du mur de Berlin, la fin de la guerre froide et de l’apartheid mais aussi le refus de l’ethnocentrisme à l’ère de la globalisation, l’ouverture de l’art sur le monde et sa financiarisation... L’exposition offre un aperçu du paysage artistique de l’époque et porte un regard sur la spécificité des artistes des années 80-90. Les plasticiens repris sont principalement européens et américains et les œuvres proposées analysent souvent ce qui permet à l’art d’être art. La démarche artistique et le cheminement intellectuel priment sur la réalisation et, de ce fait, l’œuvre d’art proprement dite a tendance à "s’effacer".
Plusieurs mediums (la photographie, la peinture, la sculpture et l’installation) figurent dans l’exposition. Certaines œuvres sont lisibles, d’autres, plus conceptuelles, requièrent plus de contextualisation afin d’être mieux comprises et je vous encourage vivement à vous référer aux explications fournies dans le livret d’exposition.
Dans la première salle, Le marchand (Händler, 2001) de Katarina Fritsch, une sculpture à taille humaine rouge carmin, et une photographie de Richard Prince, issue de sa série d’"appropriations" d’images iconiques de cowboys trouvées sur des paquets de cigarettes Marlboro, servent de mise en bouche. Ces deux œuvres font respectivement allusion aux questions épineuses de la commercialisation de l’art et de la place accordée à l’originalité dans le processus créatif.
L’artiste conceptuelle Louise Lawler documente quant à elle la "seconde vie" des œuvres lorsqu’elles quittent l’atelier de l’artiste ou les espaces d’exposition et montre comment l’accrochage et l’environnement dans lequel les œuvres sont présentées impactent notre façon de les appréhender. La photo exposée (Monogram, 1984) est celle d’un drapeau américain de Jasper Johns accroché dans la chambre d’un collectionneur. Plus avant, on peut s’immerger dans l’installation Thrift Store Paintings (1970-…) où Jim Shaw met en scène sa collection de tableaux de peintres amateurs chinée dans des brocantes ou sur eBay et interroge par là-même la légitimité du jugement esthétique établi par l’histoire de l’art.
Nombre d’artistes belges sont représentés (Ann Veronica Janssen, Lili Dujourie, Thierry De Cordier, Guillaume Bijl, Francis Alÿs...) et hommage est rendu à Jef Geys et Jan Vercruysse qui nous ont tous deux quittés cette année. Si les plasticiens du royaume figurent en bonne place, l’accrochage est loin de se cantonner aux frontières nationales et le parcours offre au regard des œuvres des américains Matt Mullican, Jimmie Durham ou Jean-Michel Basquiat, du canadien Jeff Wall, du mexicain Gabriel Orozco, de l’autrichien Franz West ou encore des congolais Chéri Samba et Bodys Isek Kingelez...
Des œuvres emblématiques de Haim Steinbach, Robert Gober, Felix Gonzalez-Torres, Nan Goldin en côtoient d’autres plus surprenantes, rarement (voir jamais) montrées pour certaines... Lesdites oeuvres témoignent à la fois de la diversité et de l’évolution des pratiques des artistes concernés mais aussi du caractère individuel et subjectif des choix des collectionneurs.
La salle qui regroupe une demi-douzaine de créations de David Hammons a constitué le temps fort de ma visite. Inspiré par les readymade de Duchamp et par l’Arte Povera, l’artiste afro-américain élève au rang d’objet d’art ses assemblages de détritus et de matériaux recyclés (matelas, bouteilles de whiskey, soutane...) et fait du hasard de ses récupérations le terreau de son travail.
Dans le sillage de l’exposition Le Musée Absent au printemps dernier et à l’heure de l’inauguration du Kanal-Centre Pompidou, le WIELS poursuit sa réflexion sur le futur musée d’art contemporain de Bruxelles et démontre brillamment les opportunités que pourraient présenter les partenariats culturels entre musées publics et collections privées.
'Unexchangeable', WIELS, Centre d'Art Contemporain, Avenue Van Volxem 354, B-1190 Bruxelles, Belgique. Jusqu'au 12 août 2018.
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