Jorge Méndez Blake, 'Apollinaire's Misspell and Other Calligrams', Galerie Meessen De Clercq

Dans l'exposition que lui consacre la galerie Meessen De Clercq, l'artiste mexicain Jorge Méndez Blake nous propose une réinterprétation visuelle et spatiale, sous la forme de dessins, de peintures et d'installations, des calligrammes du poète français Guillaume Apollinaire (1880-1918). Les œuvres conceptuelles présentées stimulent la réflexion sur le rapport entre les mots et leurs sens, sur les analogies entre littérature et architecture et sur les enjeux de la poésie.

Jorge Méndez Blake (vue d'exposition) Apollinaire's Misspell and Other Calligrams, 2017

Jorge Méndez Blake (vue d'exposition) Apollinaire's Misspell and Other Calligrams, 2017

En guise d'introduction, un grand dessin reproduit presque à l'identique la couverture de Calligrammes, poèmes de la paix et de la guerre 1913-1916, le recueil de poésie sur lequel s'appuie le plasticien. Un calligramme est un poème dont la disposition sur la page forme un dessin, une image en relation avec le contenu du texte. C’est à Guillaume Apollinaire que l’on doit ce terme, un néologisme formé par la combinaison des mots "calligraphie" et "idéogramme". En biffant la mention "1916" de la couverture originale et en la remplaçant par "2016", l'année d'exécution de son dessin, Jorge Méndez Blake se réapproprie l'œuvre du poète et nous invite à une "relecture" critique.

Les travaux exposés nous rappellent que la lecture est une pratique intime et subjective et que chaque lecteur interprète le texte et les mots selon la sensibilité qui lui est propre. Ainsi, sans doute intrigué par les références à sa terre natale, Jorge Méndez Blake s’est penché sur Lettre Océan, le calligramme qu’Apollinaire consacra à son frère installé à Mexico. Il y relève deux fautes d’orthographes commises en espagnol: Apollinaire omet le "h" de "chingada" et se trompe en écrivant "pendejo" avec un "c" au lieu d'un "j". Ces deux mots mal orthographiés sont des insultes idiomatiques couramment utilisées au Mexique. Le grand tableau vert souligne la faute et, en démultipliant le "h" manquant de "chingada", Jorge Méndez Blake accentue la perte de la sonorité chuintante que l'omission de cette lettre induit.

Jorge Méndez Blake, Apollinaire's Misspell I (Green), 2017, Acrylic on linen, 260 x 200 cm

Sur les deux murs opposés, il prolonge sa réflexion dans les "tableaux noirs" qui côtoient des œuvres typographiques... Ce n'est qu'en se rapprochant de ces tableaux monochromes que le visiteur parvient à distinguer l’empreinte quasi-imperceptible des lettres "c" et "j" du mot "pendejo".

Dans ses travaux typographiques, Jorge Méndez Blake isole certains mots utilisés par Apollinaire dans d’autres poèmes du recueil ("paix", "guerre", "Europe", "désir" etc.) et compose des calligrammes qu'il imprime sur différents types de papier. Il joue avec ces "mots-clefs", les oppose à leurs antonymes et crée ainsi de nouvelles pistes de lecture. À titre d'exemple, les lettres qui forment le mot "paix" sont insérées dans un paragraphe constitué par la répétition du mot "guerre"; le terme "enchanteur" se détache de la nébuleuse formée par les caractères g-u-e-r-r-e; et les mots "désir" et "guerre" se côtoient pour dessiner, selon les interprétations, une cheminée d'usine, une allumette embrasée, voire un drapeau flottant au vent...  Les deux murs que séparent l'entrée de la pièce et qui font face au tableau triangulaire proposent le positif et le négatif de ces deux lectures et, en choisissant d'imprimer certains mots en rouge d'un côté et en noir de l'autre côté du mur, l'artiste joue sur la signification symbolique de ces deux couleurs. Les caractères sont porteurs de messages et en optant pour l'une ou l'autre couleur, Jorge Méndez Blake attire notre attention sur l'instabilité du contexte géopolitique actuel... Si l'on se remémore que Guillaume Apollinaire composa ses calligrammes pendant la Première Guerre Mondiale, le pouvoir évocateur de ces interventions simples et ludiques n'en est que plus saillant...

Jorge Méndez Blake est architecte de formation et cela se devine dans sa façon d’appréhender la matérialité de l'écrit. Selon lui:  "l’écriture est en soi une sorte de construction et la lecture est un moyen de création." Sa démarche s’inscrit dans le sillage d’artistes tels que Marcel Broodthaers, Carl André et Joseph Kosuth. Dans son souci de donner une nouvelle forme au langage, Jorge Méndez Blake transforme la poésie concrète des calligrammes en structures architecturales. Ainsi, un diptyque de dessins convertit le tracé du poème Lettre Océan en plan urbanistique: les mots deviennent des "blocs" colorés, des "volumes" traduisant la mise en forme des vers…

 

Il pleut, un autre calligramme d'Apollinaire est également mis à l'honneur tout au long de l'exposition et les parapluies rouges et noirs (marqués des initiales du poète) qui sont nichés dans les coins des différentes salles servent de fil conducteur au parcours. Une sculpture minimaliste noire dialogue avec une gravure d'un couple qui se promène sous la pluie...

Jorge Méndez Blake (vue d'exposition) Apollinaire's Misspell and Other Calligrams, 2017

Jorge Méndez Blake (vue d'exposition) Apollinaire's Misspell and Other Calligrams, 2017

Dans la grande salle située en contrebas, Jorge Méndez Blake a non seulement reproduit à la peinture la "pluie de mots" du calligramme sur le fond rouge d'une toile (Il pleut fort, 2017) mais fait aussi pleuvoir au vinyle adhésif bleu sur les quatre murs des "mots en liberté". Dans cette installation intitulée It's Raining (An Anthology), 2017, il remplace les vers originaux d'Il Pleut par une myriade de titres d'autres poèmes évoquant la pluie. Les titres de ces poèmes et le nom de leurs auteurs ruissèlent sur les parois de l’espace et peinture et poésie se mélangent pour arriver à un art unique. Enfin, des lettres d'un jeu de Scrabble posées à même le sol et retournées sur leur verso (Word/Window II, 2017) dessinent discrètement le contour d’une fenêtre…

Je conclurai en citant Irina Bokova, la directrice générale de l'UNESCO, et dirai que cette exposition illustre bien que: "la poésie est une fenêtre sur l'époustouflante diversité de l'humanité".

 

Jorge Méndez Blake, Apollinaire's Misspell and Other Calligrams, Meessen De Clercq, 2A Rue de l'Abbaye, 1000 Bruxelles, Belgique. Jusqu'au 20 Mai 2017.

Copyright © 2017, Zoé Schreiber

LaToya Ruby Frazier, 'Et des terrils un arbre s'élèvera', MAC's

Que sait-on de Latoya Ruby Frazier? Les plus avertis me diront qu'elle est la lauréate du prestigieux Genius Grant ("bourse des génies") de la Fondation MacArthur en 2015 et du prix de la Gordon Parks Foundation en 2016... Pour en savoir plus et découvrir le travail de la photographe et vidéaste afro-américaine, l'exposition Et des terrils un arbre s'élèvera s'impose. Une visite au Grand-Hornu permet non seulement de découvrir une partie du corpus de projets de l'artiste mais aussi de voir l’aboutissement du travail documentaire qu'elle a effectué dans le Borinage pendant sa résidence au MAC's (Musée des Arts Contemporains de la Fédération Wallonie-Bruxelles).

LaToya Ruby Frazier est née à Braddock, une banlieue ouvrière de Pittsburgh en Pennsylvanie, en 1982. Sa ville natale est le berceau de la première aciérie ouverte par l'industriel Andrew Carnegie (la Edgar Thomson Steel Works, 1872). Elle a grandi dans une famille ouvrière, à l'ombre de l'usine sidérurgique alors que la "guerre contre la drogue" (War on Drugs) de l'ère Reagan battait son plein dans les quartiers noirs de la ville. Comme en témoigne la "rétrospective" du MAC's, le lieu et le vécu de l'artiste inspirent son travail et ses thématiques. Ses photographies, vidéos et performances dénoncent les problèmes systémiques (politiques, économiques, sociaux, environnementaux) qui gangrènent nos sociétés post-industrielles et l'impact brutal qu'ils ont sur les communautés en première ligne.

LaToya Ruby Frazier, Un morceau de pyrite dans la main d’Ali, Hensies, Borinage, 13 décembre 2016, de la série Et des terrils un arbre s’élèvera, 2016-2017 © Collection MAC’s.

LaToya Ruby Frazier, Un morceau de pyrite dans la main d’Ali, Hensies, Borinage, 13 décembre 2016, de la série Et des terrils un arbre s’élèvera, 2016-2017 © Collection MAC’s.

Une installation de photographies imprimées sur toile denim (Pier 54 : Human Right to Passage (2014)) et la vidéo LaToya Ruby Frazier Takes on Levi’s (2011) ouvrent le parcours. Le projet Pier 54 permet à Frazier de souligner l’importance de perpétuer le souvenir des immigrants d’Ellis Island et la vidéo documente une performance qu'elle a réalisée en réponse à l'instrumentalisation de sa ville natale par la marque de jeans Levis en 2009. Ces œuvres militantes donnent le ton au reste de l’exposition et introduisent la démarche de cette artiste qui, à l'instar du photographe afro-américain Gordon Parks dont elle se revendique, se sert de son appareil photo comme d’une "arme contre la pauvreté, contre le racisme, contre toutes les injustices".

LaToya Ruby Frazier prend ses premières photographies à l’âge de seize ans et la deuxième salle nous permet de découvrir The Notion of Family (2001-2014), la série de clichés en noir et blanc qui documente douze années du quotidien de sa famille et met en lumière l'histoire jusque là passée sous silence de la communauté afro-américaine de cette ancienne ville industrielle. Ce projet de grande ampleur a été concrétisé en collaboration avec sa mère et, bien que les moyens pour le mener à terme aient été limités, le résultat est percutant et évocateur. Un matelas redressé contre le mur d’une chambre devient le fond d’un studio photo improvisé (Mom and Me, 2005), le rapport fusionnel mère/fille est exploré par le biais de la superposition de leurs deux visages (Momme, 2008) ou encore par un jeu de silhouettes (Momme Silhouettes, 2010).

L’artiste nous montre les effets de l’environnement sur leur santé, la maladie qui les ronge et les stigmates qu’elle laisse sur leurs corps dans les vidéos Detox (Braddock U.P.M.C.), 2011 et Self Portrait (United States Steel), 2010. La violence de son histoire familiale entrecroise celle plus large de la municipalité de Braddock et les portraits des membres de sa famille avoisinent les prises de vues qui figent le délabrement des paysages industriels minés par la misère sociale. En racontant l'intimité de trois générations de femmes (celle de sa grand-mère, de sa mère et la sienne), elle retrace l’histoire de Braddock, une ville jadis prospère de la "Rust Belt" (la "ceinture de la rouille") qui s'est progressivement dépeuplée, frappée de plein fouet par la désindustrialisation, le chômage et la pollution de l'environnement.

Dans Campaign for Braddock Hospital (Save Our Community Hospital) (2011), LaToya Ruby Frazier dénonce la fermeture de l’hôpital de Braddock et s’attaque au cynisme de la marque Levi’s qui a scenographié une série de clichés publicitaires dans sa ville. Elle surimpose une citation de Martin Luther King sur une image issue de la campagne Levi’s et nous invite à décoder à notre tour les messages véhiculés par les médias et à exercer notre esprit critique…

LaToya Ruby Frazier : Et des terrils un arbre s'élèvera - View of the show © MAC's © Photo: Ph. De Gobert

LaToya Ruby Frazier : Et des terrils un arbre s'élèvera - View of the show © MAC's © Photo: Ph. De Gobert

LaToya Ruby Frazier, Et des terrils un arbre s'élèvera - Vue de l'exposition

LaToya Ruby Frazier, Et des terrils un arbre s'élèvera - Vue de l'exposition

La dernière partie du parcours porte sur le projet que l’artiste a réalisé lors de ses trois semaines de résidence au MAC’s. Ce travail, intitulé Et des terrils un arbre s’élèvera, documente ses rencontres avec d’anciens mineurs et leurs familles et illustre, par le biais de vues aériennes, de clichés d’habitation ou de ruines industrielles, le déclin économique de la région. A l’instar du projet The Notion of Family, cette série fait émerger, à partir d’histoires individuelles, l’histoire collective du bassin minier. Les immigrés italiens venus travailler au pays des mines en quête d’une vie meilleure (et rejoints ensuite par d’autres vagues d’immigration) racontent leur vécu, celui de leurs parents, voire de leurs grand-parents et LaToya Ruby Frazier a mis un point d'honneur, et ce malgré le barrage de la langue, à patiemment retranscrire à la main leurs témoignages en dessous des images posées sur des supports. Les personnes qu’elle immortalise regardent droit dans la caméra et la complicité que l’artiste a réussi à tisser avec elles est palpable. Elle a travaillé en étroite collaboration avec Bruno Robbes, un artisan local, spécialiste de la photolithographie, et le rendu grisâtre des images qu’elle imprime sur nos rétines rappelle le voile laissé par la poussière de charbon… L’exposition de la série sur le site du Grand-Hornu, un ancien complexe industriel de charbonnages reconverti en musée d’art contemporain, ajoute une dimension symbolique aux témoignages recueillis.

LaToya Ruby Frazier, Et des terrils un arbre s'élèvera - Vue de l'exposition © MAC's © Photo: Ph. De Gobert

LaToya Ruby Frazier, Et des terrils un arbre s'élèvera - Vue de l'exposition © MAC's © Photo: Ph. De Gobert

LaToya Ruby Frazier, Flénu, Borinage, 16 octobre 2016 © LaToya Ruby Frazier

LaToya Ruby Frazier, Flénu, Borinage, 16 octobre 2016 © LaToya Ruby Frazier

L’artiste résume bien sa démarche lorsqu’elle dit: "afin de mettre en évidence les préjugés et les angles morts qui persistent au sein de notre culture et de notre société, nous devons inscrire les reportages dans la durée. C'est un problème racial et de classe qui nous affecte tous. Ce n’est pas un problème noir, c’est un problème américain, un problème global. Braddock est partout."

Par ses photographies, ses vidéos et ses performances, Latoya Ruby Frazier amplifie les récits marginalisés des communautés sur lesquelles elle se penche et leur rend hommage en écrivant leur histoire "de l'intérieur". Ce travail sur la mémoire est non seulement pertinent mais aussi intéressant et les images engagées et militantes ont le mérite de nous faire entendre des voix trop souvent oubliées.

 

Et des terrils un arbre s'élèvera, LaToya Ruby Frazier, MAC's (Musée des Arts Contemporains de la Fédération Wallonie-Bruxelles - Site du Grand-Hornu), Rue Sainte-Louise 82, 7301 Boussu, Belgique. Jusqu'au 21 Mai 2017.

Copyright © 2017, Zoé Schreiber

'From here to eternity', Maison Particulière

From here to eternity est l'ultime accrochage proposé par la Maison Particulière. Myriam et Amaury de Solages, le couple de collectionneurs qui nous ouvre les portes de leur "maison" depuis six ans, dresse un dernier "état des lieux" et nous invite, avant la fermeture définitive de leur centre d'art contemporain, à de nouvelles découvertes.

Marcel Berlanger, Banquito de sal (2016) , Angelo Musco, Tehom (2010), Rachel Kneebone, Remember that we... (2014), Johan Creten, Grande Vague pour Palissy (2008-2010). Image courtesy: Maison Particulière

Marcel Berlanger, Banquito de sal (2016) , Angelo Musco, Tehom (2010), Rachel Kneebone, Remember that we... (2014), Johan Creten, Grande Vague pour Palissy (2008-2010). Image courtesy: Maison Particulière

From here to eternity occupe les trois étages de la somptueuse maison de maître ixelloise et s'inspire librement de la Divine Comédie de Dante, le livre sélectionné par Victor Ginsburgh, l'invité littéraire. À l'instar de la trilogie éponyme, la visite commence en Enfer pour se poursuivre au Purgatoire avant de s'achever au Paradis. En gravissant ces "échelons" (à pied ou en empruntant le magnifique ascenseur vitré situé au cœur de la demeure), nous traversons symboliquement les "lieux" réinterprétés par l'artiste invité, l'italien Angelo Musco, et découvrons les œuvres des 19 artistes belges et internationaux qui contribuent eux aussi à la mise en scène.

La thématique choisie pour cette dernière exposition s'articule autour d'une réflexion sur l'éternité. Les "fresques" photographiques à la fois hypnotiques et morbides d'Angelo Musco servent de fil conducteur à la visite et nouent un dialogue avec les œuvres qu'elles côtoient. Les correspondances sont nombreuses mais je me contenterai ici de relever les proximités formelles qui m'ont interpellée tout en vous enjoignant à aller en chercher d'autres par vous-même. Le triptyque de céramiques de Rachel Kneebone (Remember that we... 2014) rappelle les "architectures corporelles" qui composent l'univers subaquatique de Tehom (2010), le tronc d'arbre aux "nervures" poétiquement retracées à la feuille d'or de Fabrice Samyn (From the olive tree garden #5, 2013) semble surgir de la forêt souterraine qui lui sert de toile de fond (Phloem, 2014) et la nuée de papillons du paravent de Claudio Parmiggiani fait écho à ceux qui se métamorphosent dans la vidéo Chrysalis (2016)... Les formations organiques de Musco, créées à partir du foisonnement de corps nus d'hommes et de femmes empilés, enlacés voire enchevêtrés les uns dans les autres, servent de paradigme aux rapports entre l’homme et la nature, entre l’infiniment petit et l’infiniment grand, entre l'individuel et le collectif...

Au fil du parcours, on croise en Enfer un personnage fantomatique de Daniel Arsham, une céramique de Johan Creten qui semble repêchée des fonds marins adjacents et la tête anamorphosée du sculpteur Jaume Plensa. Au Purgatoire, l'impressionnante installation de Michel François renvoie, par sa fragilité, à l'équilibre précaire de l'existence.

Dans un des salons du Paradis, le cycle de la vie est évoqué, entre autres, par une vidéo de Charles Sandison dont l'algorithme compose et recompose à l'infini le visage d'un nouveau-né, par une figure allongée à même le sol d'Antony Gormley et par un masque mortuaire chinois (907-1125).

Enfin, Ivan Navarro nous attire vers le gouffre vertigineux de son "puit" en brique éclairé au néon et la sublime installation lumineuse de James Turrell nous invite à méditer sur les thèmes existentiels soulevés par l’accrochage...

Si l'exposition inaugurale de la Maison Particulière en avril 2011 (Origines(s)) posait la question des sources et du commencement, la dernière exposition From here to eternity nous interroge sur la continuité et la pérennité... A l'issue de la visite, on ne peut que se remémorer le constat de l'artiste belge Xavier Mary: "rien n'est éternel, mais tout répond de l'éternité."

 

'From here to eternity', Maison Particulière, 49 rue du Chatelain, B-1050, Bruxelles, Belgique. Fermeture définitive le 30 Avril 2017.

Copyright © 2017, Zoé Schreiber

Antony Gormley, 'Living Room', Galerie Xavier Hufkens

Les sculptures anthropomorphes d'Antony Gormley nous accueillent dans l'exposition que nous propose la galerie Xavier Hufkens. Les structures présentées oscillent entre abstraction et figuration et s'inscrivent dans le travail d'investigation que mène l'artiste sur le rapport entre l'homme et l'espace, entre la masse et le vide, l'intériorité et l'extériorité. Living Room célèbre les 30 ans de collaboration entre la galerie bruxelloise et le sculpteur britannique né à Londres en 1950 et récompensé par le Turner Prize en 1994.

Antony Gormley, Living Room, Galerie Xavier Hufkens. Image courtesy: Galerie Xavier Hufkens

Antony Gormley, Living Room, Galerie Xavier Hufkens. Image courtesy: Galerie Xavier Hufkens

Dans la première pièce, six silhouettes à échelle humaine se dressent devant nous. Constituées de parallélépipèdes rectangles, creux ou pleins, empilés ou imbriqués les uns dans les autres, leur couleur sombre contraste avec la luminosité de l'espace qu'elles occupent. Leurs postures sont variées: certaines se "tiennent" droites comme des "I" tandis que d'autres sont légèrement recourbées. Le propre corps de l'artiste sert de "matière première", de "matrice" aux sculptures. Si à ses débuts Gormley avait recours au moulage, il crée aujourd'hui ses statues grâce à un scanner 3D qui lui permet de modéliser son corps digitalement et d'en extrapoler de multiples permutations. Ce faisant, il le vide de toute individualité et en fait la signature de son travail qui tend ainsi vers le générique et l'universel.

Au fur et à mesure de la visite, on croise le chemin d'autres humanoïdes et surtout, au centre du vestibule, celui d'une œuvre colossale, agrandissement monumental des figures rencontrées à l'entrée. Solitaire, le "dos" vouté, l'homme de fer nous surplombe et nous renvoie à notre propre vulnérabilité voire à notre insignifiance.

Antony Gormley, Living Room, Galerie Xavier Hufkens. Image courtesy: Galerie Xavier Hufkens

Antony Gormley, Living Room, Galerie Xavier Hufkens. Image courtesy: Galerie Xavier Hufkens

Des sculptures en filigrane surgissent au détour d'un mur, certaines sont allongées à même le sol tandis que d’autres, recroquevillées sur elles-mêmes, défient la gravité et sont suspendues dans l'angle à la jonction du mur et du plafond.

La structure de ces "hommes géométriques" rappelle celles d'immeubles et les pavés droits qui les composent ou les lignes qui les dessinent, celles de pièces d'appartements. Certaines figures sont d'ailleurs réalisées à partir de treillis métalliques qui suggèrent ceux à béton utilisés dans la construction…

J'ai été particulièrement sensible au duo de sculptures qui donne son nom à l'exposition. On peut l'observer de plain-pied ou en contre-bas depuis le premier étage de la galerie. Grâce à la prise de hauteur, la perspective change et la structure "corporelle" devient maquette d’un complexe architectural...

Antony Gormley, Living Room, Galerie Xavier Hufkens. Image courtesy: Galerie Xavier Hufkens

Antony Gormley, Living Room, Galerie Xavier Hufkens. Image courtesy: Galerie Xavier Hufkens

Le Living Room ou "salle de séjour" est à comprendre comme étant un espace d'habitation et un espace habité. Les pièces de la galerie sont des "living rooms" qui servent d'écrin aux oeuvres et aux visiteurs qui les découvrent. Gormley nous donne à voir qu'à l'instar de ses hommes de fer, nos corps sont à la fois des entités qui habitent l'espace et l'espace qu'ils habitent, que les corps sont dans l'espace et que l'espace est dans les corps. La sculpture évolue ainsi d'un espace ouvert à un espace intime. "Si l'esprit occupe le corps et le corps occupe un bâtiment, quel est notre ressenti si l'on substitue le bâtiment au corps? Dans quelle mesure sommes-nous protégés par et enfermés dans nos structures et à quel point sommes-nous contrôlés par elles?" s'interroge l'artiste. 

L'atmosphère qui se dégage de Living Room est austère et les sculptures d’Antony Gormley invitent le spectateur à regarder et à se regarder. Le corps de l'homme est repensé en termes architecturaux et cette démarche nous incite à réfléchir sur ce que veut dire habiter un corps ou habiter un espace. Avant de quitter la galerie, je vous encourage à vous aventurer dans le jardin pour ne pas rater celui qui s'y cache et met un point d'orgue à la visite.

Antony Gormley, Living Room, Galerie Xavier Hufkens. Image courtesy: Galerie Xavier Hufkens

Antony Gormley, Living Room, Galerie Xavier Hufkens. Image courtesy: Galerie Xavier Hufkens

 

Antony Gormley, 'Living Room', Galerie Xavier Hufkens, rue St-Georges 6, B-1050, Bruxelles, Belgique. Jusqu'au 8 Avril 2017.

Copyright © 2017, Zoé Schreiber