Kehinde Wiley, 'Lit', BOZAR

A l'issue de son mandat à la Maison Blanche, chaque président américain peut choisir l'artiste auquel il souhaite confier la réalisation du portrait présidentiel qui figurera à la National Portrait Gallery du Smithsonian de Washington. En choisissant Kehinde Wiley et en dérogeant par voie de conséquence à la tradition qui voulait que, depuis George Bush père, cette tâche soit déléguée au peintre Everett Raymond Kinstler (1926-), Barack Obama innove. Son choix est à la fois historique et audacieux dans la mesure où le premier président afro-américain a choisi un artiste noir issu de la culture hip-hop. Le portrait d'Obama sera dévoilé ce lundi 12 février et, hasard du calendrier, BOZAR, en collaboration avec la galerie Templon, nous invite à aller à la découverte de l'une des facettes du travail de cet artiste iconoclaste.

Né en 1977 à Los Angeles d'un père nigérian et d'une mère afro-américaine, Kehinde Wiley vit à New York. Diplômé de la prestigieuse université de Yale, il participe en 2001 à la résidence d'artiste du Studio Museum de Harlem où il peaufine sa démarche. Il s'inspire des portraits de grands maîtres (David, Rubens, Memling, Ingres, Sargent...) qu'il se réapproprie en remplaçant les bourgeois et les têtes couronnées par de jeunes hommes noirs ou métis rencontrés dans la rue à qui il demande de choisir les poses qu'il reproduira dans ses tableaux. Sa signature visuelle est facilement reconnaissable: sur fond de papiers peints fleuris, l'esthétique baroque à la limite du kitsch de ses portraits hyperréalistes renverse les canons de l'histoire de l'art et interroge les représentations du pouvoir, de l'identité raciale et sexuelle sans pour autant renier une certaine fascination pour le bling bling et les signes extérieurs de richesse. En proposant une histoire où l'imagerie n'est pas dominée par l'homme blanc, il questionne l'exclusion de l'homme noir dans l'Histoire.

Installées comme dans une chapelle dans l'une des salles du Palais des Beaux-Arts, les cinq oeuvres présentées sont monumentales et impressionnent tant par leur taille que par la lumière qu'elles irradient. Il s'agit de vitraux inspirés de ceux de Jean-Auguste-Dominique Ingres (1780-1867) réalisés entre 2014 et 2016 par des artisans tchèques. 

Kehinde Wiley, 'Lit', vue d'exposition, BOZAR. photo: Zoé Schreiber

Kehinde Wiley, 'Lit', vue d'exposition, BOZAR. photo: Zoé Schreiber

Fidèle à ses convictions, Kehinde Wiley, qui explore ici l'iconographie religieuse dans le style des maîtres de la Renaissance, met encore et toujours en scène des héros noirs ou métis rencontrés lors de castings de rue. En faisant poser ses héros anonymes dans leurs propres vêtements, parés de tous les atours de la culture urbaine (baskets, casquettes, vestes de jogging, t-shirts et jeans baggy ou troués), il utilise les codes de la peinture européenne qu'il détourne et ses modèles sublimés deviennent les acteurs à part entière de l'histoire racontée. 

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Têtes hautes, visages graves et sereins, leur regard est expressif, à la fois appuyé et fier, mais on les sent vulnérables. La série s'articule autour du thème du Christ et de sa relation avec la Vierge Marie. Les personnages représentés sont nos contemporains et ont tous une dimension humaine. La Vierge Marie est un homme en chaussettes blanches et tenue de sport qui tel une Pietà porte à bout de bras son fils mort mais aussi une jeune mère au bras tatoué qui porte l'enfant Jesus représenté en fillette. Une fois garçon, une autre fois fille, la représentation nous amène à réfléchir sur la question du genre et de la masculinité. A l'instar de ses peintures, Wiley sature ses vitraux de couleurs et d'ornements.

A l'entrée de l'exposition, on peut visionner le documentaire An Economy of Grace (2014) qui retrace la réalisation des premiers portraits féminins du peintre.

Éminemment politique, l'oeuvre du portraitiste Kehinde Wiley ne laisse pas indifférent et l'Amérique qu'il nous donne à voir est loin d'être unidimensionnelle. Comme il l'explique: "tout ce que je fais s'inscrit dans un contexte politique et racial. Pas toujours par parti-pris ou parce que je le conçois ainsi, mais plutôt en raison du regard que les gens portent sur le travail d'un artiste afro-américain dans ce pays."

Kehinde Wiley, 'Lit', BOZAR/Palais des Beaux-Arts, Rue Ravenstein 23, B-1000 Bruxelles, Belgique. Jusqu'au 29 Avril 2018. Entrée libre.

Copyright © 2018, Zoé Schreiber


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