Après Anish Kapoor et Olafur Eliasson, c’est Hiroshi Sugimoto (1948-) qui est invité à prendre ses quartiers dans l'espace du Château de Versailles à l'automne prochain. Artiste protéiforme, il y présentera ses dernières créations à la croisée de l'art, de l'architecture et du spectacle vivant. En attendant l'exposition de l’une des figures de proue de la photographie japonaise, les curieux peuvent d’ores et déjà redécouvrir ou se familiariser avec son travail dans les deux salles que lui consacrent les Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique (MRBAB).
L’exposition intitulée Hiroshi Sugimoto: Still Life met en évidence les liens qui unissent peinture et photographie et présente une quarantaine de photos de l’artiste mises en dialogue avec des œuvres de Primitifs flamands (XVe-XVIe siècles) tant anonymes que plus reconnus comme Théodore Géricault (1791-1824), Paul de Vos (1591-1678) et des membres de l’atelier de Pieter Coecke Van Aelst (1502-1550).
Sugimoto est réputé pour ses clichés de paysages marins (Seascapes) et ceux d'anciennes salles de théâtre reconverties en cinémas (Theaters). L’accrochage que nous propose les MRBAB se concentre sur trois séries moins connues mais tout aussi représentatives de sa démarche: la série des dioramas, celle des portraits de personnages historiques en cire et celle des premiers négatifs du scientifique britannique William Henry Fox Talbot (1800-1877).
Adepte du noir et blanc, l’artiste installe ses photographies dans la durée et développe une réflexion sur la nature et la perception du temps. Ses images à la fois conceptuelles et méditatives explorent comment la photographie permet de saisir l’instant et comment elle permet de questionner le réel.
Les frontières qui séparent l’illusion de la réalité, la fiction du réel et l’instantané du moment à la durée du temps de pose se brouillent entre les mains d’Hiroshi Sugimoto.
Les œuvres qui ouvrent le parcours font partie de la série des dioramas, œuvre fondatrice qui lança la carrière d’Hiroshi Sugimoto. Le diorama est une reconstruction en trois dimensions d’une scène où, figés derrière une vitre, des animaux empaillés sont replacés dans leur milieu naturel. Les dioramas font leur entrée dans les musées au XIXe siècle et visent, par un effet d’optique, à plonger littéralement le spectateur qui les regarde dans les paysages représentés. En 1974, Sugimoto découvre les dioramas du musée américain d’histoire naturelle de New York. L’aspect artificiel de la mise en scène l’interpelle et, à force de les observer, il lui semble que "l’illusion fonctionnerait mieux à travers l’œil d’un appareil photographique supposé toujours montrer la réalité brute".
Les images mettent en avant l’intemporalité de la nature et la majesté des animaux: un troupeau de gazelles succède à une horde de vautours, à une famille de condors et à une meute de loups… Présents à la fois dans les tableaux et dans les photos, lions et cerfs semblent migrer d’un cadre à l’autre. De prime abord, le spectateur "croit" aux scènes photographiées, mais, la profondeur de champs, la perspective et le rendu quasi-pictural de certains détails trahissent la nature hyper-composée des mises en scènes. La série des dioramas permet à Hiroshi Sugimoto de tromper le visiteur et de mettre en exergue "les origines mêmes de la photographie [qui, selon lui,] relèvent d’une forme de spectacle qui révèle le monde à partir d’une illusion orchestrée."
Les mêmes observations s’appliquent à la série de photographies de personnages historiques en cire du Musée Tussaud. On y croise Jane Seymour, Ann Boleyn, Catherine d’Aragon, Elisabeth 1er mais aussi Henri VIII, le duc de Wellington et Napoléon Bonaparte. Ces photos entrent en résonance directe avec les collections du MRBAB et corroborent l’assertion d’Hiroshi Sugimoto selon laquelle il "fai[t] de l'authenthique à partir du faux." Là encore, il fige des modèles inertes comme s’il s’agissait d’êtres vivants, posant en chair et en os devant son objectif… L’artiste "remonte le temps" et rend hommage à la peinture flamande en s’inspirant des tenues d’époque, des pauses et de l’éclairage en clair-obscur qui la caractérise.
Il joue avec les conventions picturales et propose son interprétation de la cène dans une longue frise photographique. Dans l’une des rares compositions en couleur de l’exposition, il photographie une reconstitution de La Leçon de musique (1650-1660) de Johannes Vermeer, un tableau majeur de l’histoire de l’art, et substitue les pieds du chevalet, apparents dans le miroir de l’œuvre originale, par ceux d’un trépied. Ce faisant, il souligne l’effet de profondeur quasi-photographique obtenu par le peintre et évoque aussi l’hypothèse, souvent formulée mais jamais réellement prouvée, selon laquelle Vermeer se serait aidé d’une chambre noire (camera obscura), l’ancêtre de l’appareil photo.
Hiroshi Sugimoto va aux sources de son medium lorsqu’il décide de collectionner et de réaliser des tirages inédits des tous premiers négatifs du pionnier de la photographie, William Henry Fox Talbot. Ce-dernier inventa le procédé du "dessin photogénique" qui permit d’obtenir des images négatives sur du papier. La relecture que l’artiste effectue de ces premières images se décline en couleur sépia et tonalités bleutées et une même aura de mystère plane autour de cette série que dans le plus énigmatique des tableaux anciens…
Je vous encourage à visiter cette belle exposition même si je dois mettre un bémol à mon enthousiasme. En effet, si une brève notice explicative souligne d’entrée de jeu comment le souci de réalisme des maîtres flamands a influencé la pratique d’Hiroshi Sugimoto, une documentation plus détaillée sur les séries présentées aurait été souhaitable. En outre, les deux documentaires projetés au rez-de-chaussée (la durée de l’un des deux étant de près de 45 mn) portent essentiellement sur les travaux et les sculptures plus récentes de l’artiste.
Hiroshi Sugimoto - Still Life, Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, Rue de la Régence 3, B-1000 Bruxelles, Belgique. Jusqu'au 19 août, dans le cadre du Summer of Photography 2018.
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